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Le mystérieux Noël de Citélia

Conte de Noël 2020

 


 

Magali DALLE

https://magalidalle.wixsite.com/leroyaumedelombre


 

À mes enfants,

qui sont souvent trop loin

mais jamais de mon cœur.


 

Aux princesses et aux princes

que sont tous les enfants:

que ces incroyants de grands les laissent au moins le temps d’un Avent

croire aux miracles…


 

MD


 

Merci à ceux qui, me questionnant, m’ont inspiré l’idée de ce conte.


 

Table des matières

Chapitre 1, Un hiver et un mystère 5

Chapitre 2, La dame en blanc 15

Chapitre 3, Les tueurs d’enfants 23

Chapitre 4, Sabotage 33

Chapitre 5, Puits 46

Chapitre 6, Chez Lavita 58

Chapitre 7, Les pièges infernaux 68

Chapitre 8, Citélia 82

Chapitre 9, Les dévots de la mort 109

Chapitre 10, Noël 131

 

 

Chapitre 1, Un hiver et un mystère

29 novembre 1659, Maison des Martin - Dubois

Luttant l’un contre l’autre, ils roulèrent le long du toit, arrêtés par la gouttière. Mais celle-ci céda et les deux adversaires tombèrent comme des pierres vers le sol, hurlant toujours leur rage, plus préoccupés de leur querelle que de leurs vies.

En bas, le sol déneigé et glacé promettait d’être une piste d’atterrissage mortelle, offrant les dernières et terribles sensations à ces combattants enragés.

« - Diane ! Vite !

- Oh non ! Victor ! »

Deux enfants se précipitèrent. Ils étaient occupés à faire de la luge dans la cour lorsqu’ils avaient entendu des cris guerriers, stridents et impitoyables.

« - On y est !

- Juste en dessous d’eux !

- Ils arrivent : on va les rattraper ! »

Diane et Victor tendirent les bras, concentrés sur les corps agités tombant vertigineusement vers eux.

Dans un bruit sourd, le poil hirsute et la queue nerveuse, chaque lutteur atterrit dans des bras chauds, fut saisi par des gants de laine et grondé par le regard clair et incrédule des enfants.

« - Des écureuils ! s’exclama Victor. Des écureuils qui se battent pour un morceau de noix ! »

Diane éclata de rire.

«  - Hé bien, qu’avez-vous cru ? »

demanda Amélie qui s’approchait à grands pas.

« - Vous ne vous doutiez pas que de si petites bêtes pouvaient lutter aussi fort, n’est-ce pas ? Nous avons laissé tomber un cerneau en rentrant le goûter, et voilà que cela a déclenché une guerre ! »

Les enfants riaient tandis que les écureuils tentaient d’échapper à leur étreinte.

« - Bien, reprit Amélie. Allons leur chercher quelques provisions à emmener chez eux et relâchons-les près des arbres. » Ils entrèrent, retenant toujours les bêtes qui commençaient à mordre, rassemblèrent d’autres cerneaux de noix et des noisettes qu’Amélie emballa dans des mouchoirs et coururent jusqu’au chemin qui allait de la maison au village. Là, les chenapans en fourrure ayant saisi leur baluchon, les enfants se penchèrent vers le sol. Les écureuils sautèrent avant que leurs mains ne touchent la terre gelée et foncèrent, chacun dans sa propre direction, mettre leurs trésors à l’abri.

«  - Puisque nous sommes là, nous ferons des exercices dehors, aujourd’hui. Votre pause est finie et nous allons aux étangs.

- Oui !! Les étangs ! »

Depuis plusieurs semaines déjà leur surface était durcie par le froid et permettait de marcher sur l’eau. Amélie avait confectionné des lames plutôt épaisses et peu coupantes, équipées de cordons. Elle avait décidé de les fixer solidement aux bottes afin de faire glisser les enfants sur la glace.

En un clin d’œil les voilà tous les trois à s’entraîner sur la patinoire naturelle et amusante que formaient des dizaines d’étangs souvent reliés les uns aux autres par un couloir glacé, entourés de forêt mêlant sapins et feuillus dénudés. Amélie était Professeure et leur montrait de nouvelles positions des jambes pour effectuer de joyeuses figures lorsque l’attention de Victor fut détournée.

«  - Hé, s’exclama-t-il en montrant la glace, vous avez vu ça ?

- Quoi donc ? Répondit Diane en tournoyant.

- Arrêtez-vous et regardez ! J’ai vu passer une forme sombre sous la glace ! »

Diane et Amélie fixèrent la zone éblouissante que montrait Victor. Mais nulle ombre en vue, et encore moins sous la glace ! Ils scrutèrent quelques secondes les environs puis Amélie conclut qu’il s’agissait d’un poisson, grossi par la loupe que formait la couche gelée et qu’il avait surpris Victor, lui paraissant ainsi plus large qu’il ne l’était.

Le garçon haussa les épaules : Amélie devait avoir raison. Comme d’habitude ! Et tout en se plaisant à imaginer un monstre marin il se lança dans une course de patins avec Diane.

Mais le jour tombait vite en cette fin de novembre et après des heures qui leur semblèrent être trop courtes, Amélie obtint, bien qu’avec peine, qu’ils abandonnent leurs jeux de glisse pour se glisser jusqu’à leur maison.

Finalement, le feu du poêle était bien agréable et une fois à table avec leurs parents Diane et Victor firent un récit détaillé de leur journée et surtout, comme si cela avait occupé la plus grande part de leur précieux temps, des moments de patinage sur la glace.

En riant, Victor lança une devinette qui amusa beaucoup sa famille :

« - Il est gras d’avoir mangé trop d’enfants et il va bientôt dormir ! Qui est-ce ? »

Chacun réfléchit, on donna plusieurs réponses mais aucune ne fut la bonne.

« - Ah, ah, ah !!! C’est le Graoully ! s’exclama finalement Victor. Le gras – au lit !! Ah, ah, ah !!! »

Victor riait de sa propre plaisanterie avec beaucoup de cœur, plié en deux et se tenant le ventre tant cela l’enthousiasmait ! Sa famille, entraînée par son fou rire contagieux, s’esclaffa et ce fut les yeux humides et ployant sous une joyeuse fatigue que chacun rejoignit son lit ce soir-là… Un lit sans Graoully, ce monstre légendaire qui avait terrorisé la région durant des siècles mais sembla soudain bien ridicule, imaginé flasque et digérant bruyamment ses repas dans un lit qui ploierait probablement sous son poids !


 


 


 

30 novembre 1659

« - Allez ! Debout les marmottes ! Le soleil va déjà se lever !

- Oh, Papaaa, râla Diane. Pitié ! Les marmottes, elles ont besoin de dormir, l’hiver !

- Certes ! Celles qui vivent sur les montagnes d’en face ! Ici on peut se lever !

- Mais pourquoooooii ??? tenta encore quoique avec peu d’espoir une Diane qui baillait sans honte.

- Parce que, intervint la voix de sa mère, nous partons chez Tante Isabelle !  Pierre sera là aussi avec Claire et leurs enfants. »

Un terrifiant brouhaha retentit soudain. Un séisme sembla avoir précipité au sol l’armoire de la chambre de Victor. La voix de celui-ci tonna alors :

« - Oh, oui alors, trop génial, trop extra, trop bienvenu ! Je devais justement prendre ma revanche contre Lucas au jeu de paume ! »

Il déboula dans la chambre de sa sœur, boitant comme un enfant qui essaie de s’habiller tout en courant. Diane s’assit sur le bord de son lit, résignée mais souriante : elle allait revoir ce joli bébé qui portait presque son prénom : Diana.


 

Deux heures plus tard ils furent tous réunis chez Tante Isabelle. Diane et Victor jouaient avec leurs cousins et cousines. On entendait parfois, lorsqu’elle était laissée seule, un rire cristallin s’élever du berceau de Diana. Diane allait alors voir ce qu’elle faisait, espérant découvrir le jeu préféré de sa cousine, mais elle retrouvait toujours le bébé occupée à offrir de larges sourires, les yeux pétillants de plaisir, mais sans sembler s’amuser d’un jouet ou d’une décoration particulière parmi tout ce dont son couchage était orné.

« - Diane, tu viens jouer dehors ? » demanda soudain Lucas. Tel un troupeau d’éléphants, une armée d’enfants hurlants dévala soudain l’escalier pour se jeter dans la neige du jardin.

Le plus grand d’entre eux, Lucas, décida de rejoindre une rivière et de cueillir des branches de sapin en revenant. Fred, Félix, Diane et Victor le suivirent tandis que les plus jeunes poursuivaient la construction d’un igloo avec les adultes venus les rejoindre. En s’éloignant, Diane entendit une nouvelle fois l’éclat de rire sa plus jeune cousine.

« - Encore son fou rire incompréhensible ! Lança Lucas. Ma plus jeune sœur est la plus étrange !

- Au moins, elle est toujours joyeuse ! Répondit Félix. »

Diane jeta un regard vers la fenêtre de la chambre qu’Isabelle avait ouverte un instant. En effet, la dernière-née de la famille semblait toujours très amusée. Elle deviendra sans doute une grande optimiste !

Elle y pensait encore lorsqu’ils arrivèrent près de la rivière. Ils la longèrent, décidant de rejoindre une petite clairière qui se trouvait non loin de là avant de faire demi-tour. Victor observait la glace sous laquelle on devinait parfois le mouvement de l’eau.

« - Hé ! s’écria-t-il soudain. Je l’ai revu !

- Quoi donc, demandèrent Lucas et Fred d’une seule voix.

- Le monstre, je parie, se moqua Diane.

- Mais je n’ai pas rêvé ! Un forme très longue, beaucoup plus grande que ce qu’on voit d’habitude ! Ce n’était pas un poisson, ce n’est pas possible ! »

Ses cousins se penchèrent au-dessus de la rivière, espérant voir à leur tour ce monstre. Comme ce serait amusant, de raconter cela en rentrant ! Encore fallait-il qu’ils voient eux aussi cette fameuse forme.

« - Et tu l’as déjà vu ? Demanda Félix

- Oui, hier, près de chez nous !

- Ça fait loin, ça, pour un poisson, non ?

- Pas du tout, intervint Lucas. Pas par la rivière : ici elle est large ; elle rétrécit un peu en descendant mais elle passe vraiment près de chez Victor et son chemin est plus court que la route.

- Oh ! Là-bas ! » Fred pointait du doigt un endroit profond proche de la berge opposée. Les quatre autres se concentrèrent pour apercevoir des mouvements dans l’eau. La couche de glace était épaisse mais ils crurent tous les quatre voir deux formes sombres glissant dans la rivière.

« - Oh ! La deuxième avait des tentacules, vous avez vu ? s’exclama Félix.

- Incroyable ! Cria Victor avec jubilation. Tu vois, Diane, que je n’avais pas rêvé !! Il y a des monstres dans les étangs et les rivières !

- Au moins deux différents, commenta Lucas qui scrutait toujours la rivière afin d’en voir davantage. Et l’un d’eux a quatre tentacules !

- Oui, c’est aussi ce que j’ai vu ! Approuva Diane. »

Ils se regardèrent alors : que faire ? Ils avaient très envie de briser la glace pour découvrir ce qui se cachait dessous… Mais cela pouvait être dangereux… Ils en étaient sûrs : étant donné leur taille, il ne pouvait s’agir que de monstres. Diane trancha :

« - Nous devons tout d’abord en parler à nos parents. Nous reviendrons avec eux. »

Les garçons approuvèrent. Lucas pensa qu’il ne devait pas, en effet, faire courir de risques aux plus jeunes. Fred, Félix et Victor pensèrent qu’il ne fallait pas se lancer dans une enquête trop dangereuse avec Diane. Et Diane se dit qu’il valait mieux empêcher les garçons de prendre des risques inconsidérés.


 


 


 

« - Oh non, pas encore !! »

Victor serra les poings devant lui en fermant les yeux, comme pour refuser de voir et étrangler cette fichue incrédulité d’adulte !

« - Tu sembles désespéré que l’on soit réalistes. Mais, mon fils, vous avez sûrement vu de gros poissons, encore grossis par l’effet de la glace... » Diane ne pouvait pas se retenir plus longtemps : elle éclata de rire.

«  - Il dit mot pour mot ce que pensait déjà Amélie ! On dirait une histoire de fous !

- C’est moi, qui vais devenir fou, si ça continue, grogna son frère.

- Oui, ajouta Fred : nous les avons vus tous les cinq ! On ne peut pas avoir rêvé de la même chose tous les cinq!

- C’était une illusion d’optique, voyons... répondit Isabelle.

- Oh, Maman ! Si tu avais été là tu ne dirais pas ça ! »

Félix interrompit ce dialogue sans fin par une conclusion cynique :

« - Ils ne nous croirons jamais. On ne peut rien y faire alors tant pis ! Le monde périra, attaqué par des monstres jaillissant des flots glacés... »

Victor ne put s’empêcher de rire. Après tout, peut-être que son père, sa tante, tous ceux qui ne le croyaient pas, avaient raison. Que les enfants se trompent, ça peut arriver ! Il se sentit alors espérer que cela ne soit qu’une histoire sortie de son imagination, si effrayante qu’elle avait convaincu sa sœur et ses cousins. Oui, une simple histoire : cela semblait plus rassurant.

Ce soir-là les enfants eurent une bonne surprise : tout le monde allait dormir chez Isabelle ! Fred et Félix décidèrent sans besoin de délibérer qu’ils partageraient la même chambre, avec Lucas et Victor. Adam et Noé voulurent se joindre à eux, mais en emmenant Diane et Marie avec eux parce qu’elles racontaient toujours de belles histoires. Marie voulut dormir avec Aurore, qui ne voulait pas quitter sa chère Floriane, tandis que Diane rêvait de bercer Diana et de rester auprès d’elle. Ce dernier souhait ne fut pas exaucé, Claire décidant que Diana devait dormir au calme. Les dix autres enfants dépouillèrent leurs lits de leurs matelas pour les jeter tous sur le sol d’une unique pièce. La chambre de Fred sembla soudain transformée en un immense tapis douillet. De sa chambre, Diana laissa encore jaillir l’un de ses merveilleux rires cristallins. Diane se lança dans un merveilleux conte qu’elle inventait au fur et à mesure, avec l’aide de l’imagination de Marie. Victor se répétait qu’il avait cru voir ce qui n’existait pas. Il adorait les casse-tête ! Parfois, son imagination inventait des énigmes, mais il savait bien que les monstres n’existaient que dans les légendes. Fred se demandait quels poissons pouvaient être aussi gros et quel goût ils pourraient avoir. Félix se demandait s’il allait pouvoir reproduire un effet optique faisant croire à des monstres. Lucas songeait qu’il n’avait pas ramassé les branches de sapin comme il l’avait souhaité. Les autres se laissèrent entraîner dans le monde magique de Marie et de Diane. Et ainsi tout ce petit monde s’endormit paisiblement.


 

Il faisait encore noir lorsque Diana eut la sensation d’avoir une crampe. Aurore s’était blottie contre elle et elle n’avait pas osé bouger. Mais il lui fallait s’étirer. Elle s’extirpa des draps et finalement se leva pour marcher. En ouvrant la porte, délicatement, pour ne réveiller personne, elle s’aperçut que le soleil s’était déjà levé. Des voix, douces, tels des murmures échappés d’un rêve, venaient du rez-de-chaussée. Elle descendit alors sur la pointe des pieds. S’approchant de la porte du salon, elle reconnut sa mère et ses deux tantes qui finissaient une discussion :

« - Lucas aime tellement venir chez vous, Emma ! dit Claire. Il sera enchanté de ton invitation ! Mais Noé doit accueillir l’un de ses amis alors Lucas viendra seulement avec Adam.

- D’accord ! Tes enfants peuvent venir aussi, Isa.

- Ils seraient contents, c’est sûr. Mais ils sont invités à un anniversaire demain, et à un autre après-demain ! Je viendrai chercher Lucas et Adam avec Claire et ils joueront tous dans ta forêt à ce moment-là !

- Parfait ! Oh, je crois entendre des pas de souris... »

Emma se tourna vers la porte : Diane était repérée !

« - Il est trop tôt pour te lever, ma chérie.

- Je vous avais entendues. »

Claire et Isabelle embrassèrent Diane et s’éloignèrent. Emma tendit la main à sa fille, qui la rejoignit dans son large fauteuil. « - Regarde. » Et Emma sortit de sa poche une collier scintillant. «  - J’ai fait une chaîne avec de fins morceaux de cuir blanc et l’ai incrustée de petites perles et de pierres : il y en a 25, une pour chaque jour jusqu’à Noël. Il m’a fallu des mois pour rassembler et tailler tous ces trésors à la bonne taille ! Ce collier est pour toi.

- Merci ! Je te promets de ne jamais le perdre ! »

Après un câlin elles remontèrent : Diane devait encore dormir.

Mais elle n’y parvint pas. Elle avait entendu que Lucas, son cousin préféré, et Adam, allaient venir en vacances chez eux ! Quelle joie! Ils allaient grimper aux arbres, mêmes gelés, faire ensemble du patinage… Apercevraient-ils encore ces poissons qu’ils avaient pris pour des monstres ? Aurore se retourna et revint se serrer contre sa cousine. Diane sourit : plus tard, elle demandera à son tour à venir en vacances, chez Claire et Pierre. Ainsi elle pourra prendre soin de ses cousines. Elle se rendormit en imaginant Aurore jouer avec elle près des étangs.


 

Chapitre 2, La dame en blanc


 

1er décembre 1659

«  - Chut ! Tu vas la réveiller !

- Mais non, je ne fais pas de bruit.

- Mais tu as failli l’écraser !

- N’importe quoi !

- Mm ? Marmonna Diane.

- Oh, saperlipopette ! Grogna Adam. Tu l’as réveillée !

- C’est de ta faute, aussi ! Rétorqua Félix. »

Diane ne put s’empêcher de rire. Elle s’étira, constata qu’Aurore et Floriane n’étaient plus près d’elle, et qu’elle était d’ailleurs la dernière à se lever. Adam lui tendit la main :

« - Allez, Mademoiselle, levez-vous, puisqu’on vous a réveillée ! »

Mademoiselle saisit la main et se leva vivement. Une belle journée commençait !

Ils sortirent en trombe de la chambre et sentirent une odeur de pain chaud. Mmmm ! Sans une seconde d’hésitation, ils suivirent le délicieux fumet jusqu’à la cuisine ! Non loin de là, sur la terrasse, une petite voix commençait à gémir. « - Diana ! » murmura Diane. Elle sortit à pas de loup pour surprendre sa cousine et la faire rire, suivie de ses cousins qui avaient pris soin d’arracher une grosse tranche de pain tiède au passage. « - Chuut... » entendit-elle en s’approchant. Et Diana cessa immédiatement sa plainte.

Les enfants trouvèrent le bébé dans son berceau, recouverte de fourrure et réchauffée par un lointain mais grand soleil. Claire revenait vers elle avec un hochet.

« - Elle s’est tout de suite calmée lorsque tu lui as parlé, lui lança Diane.

- Calmée ? Mais je ne l’ai pas entendue du tout. Et je n’ai rien dit, je viens seulement de ressortir !

- Mais j’ai entendu quelqu’un la calmer, pourtant.

- Ce n’était pas moi. Ni ta mère, ni ta tante : regarde, elles sont à l’étage à ouvrir les fenêtres ! »

Claire leur fit signe. Diane regarda sa cousine gazouiller en tendant les bras pour attraper son hochet. Elle pensa qu’elle avait sans doute rêvé. Adam lui dit que le petit déjeuner allait être englouti s’ils ne rejoignaient pas les autres ! Félix et Diane le suivirent donc volontiers.

Le collier de Diane eut un grand succès auprès de Floriane ! Elle se régala de croissants tout en faisant l’inventaire des pierres de son nouveau bijou, puis les enfants montèrent ranger leurs affaires avant de rejoindre une grange aménagée en terrain de jeu. De jeu de paume. Enfin, Victor allait prendre sa revanche !


 

Ils jouèrent toute la matinée. Diane quitta la salle de jeux la première pour aller chercher son père : elle aurait aimé retourner près de la rivière avec lui d’autant plus qu’il fallait cueillir des branches de sapin pour Lucas : il avait parlé de faire des guirlandes avec cela, des pommes de pin et des objets en bois qu’il avait sculpté. Elle allait chercher son père dans le bureau d’oncle Jean lorsqu’elle entendit à nouveau Diana éclater de rire. Le bébé se trouvait dans sa chambre. Elle décida donc d’y passer afin de voir sa cousine. La porte était entrouverte. Alors, Diana, ayant jeté un regard à l’intérieur, resta pétrifiée de surprise : une jeune femme était penchée au-dessus du berceau !


 

Vêtue de blanc, les cheveux soyeusement ondulés tombant dans son dos, elle faisait des grimaces au bébé qui éclatait de rire. Diane ouvrit la porte et entra. L’inconnue, surprise, se redressa et, le regard inquiet, vérifia que Diane était seule. Mais Noé et Adam, curieux de savoir ce que faisait leur cousine, l’avaient rejointe. Ils apparurent derrière elle. La jeune femme prit un air terrifié. Alors Diane attira ses cousins dans la pièce, referma la porte derrière eux et sans une once d’hésitation demanda à l’intruse qui elle était.

« - Hé bien… marmonna-t-elle avec hésitation avant de se reprendre, promettez-moi que vous ne me dénoncerez pas !

- Quoi ? Demanda Noé, curieux de comprendre.

- Promettez-le moi et je vous offrirai une jolie surprise ! Vous l’aurez à Noël !

- Mais, on ne peut pas vous laisser venir voir notre petite sœur comme ça…

- Oui, répondit la jeune femme l’air contrit. Bien sûr… Je m’appelle Tine. Je n’ai pas le droit de me montrer… »

Elle se tordit la bouche de façon si pitoyable que Diane compatit.

« - Mais que faîtes-vous ici ? lui demanda-t-elle.

- C’est que… Diana n’est pas aussi sage qu’on pourrait le croire. Elle a son petit caractère. Alors, moi, je viens la faire rire. Je n’aime pas l’entendre se plaindre, voyez-vous…

- Vous venez amuser ma sœur, c’est ça ? Reformula Adam.

- Comme un ménestrel ? Ajouta Noé

- Ou un fou du Roi ? Poursuivit Adam

- Bon, ça va, je vois bien que vous ne me prenez pas au sérieux. Alors, vous vous tairez, promis ? »

Les enfants ne répondirent rien, hésitants. L’inconnue ne semblait pas dangereuse. Peut-être était - elle un peu originale ?

« - Oh, derrière vous ! » s’écria-t-elle.

Diane et ses cousins se retournèrent : la porte était toujours fermée et ils ne virent rien de… Sacrebleu ! Diana éclata soudain de rire, un long rire, contagieux. La jeune femme n’était plus là ! À peine un bruissement et elle avait disparu ! La fenêtre était ouverte : elle n’avait pas pu sortir par là tout de même ! Les enfants se regardèrent :

« - Vous ne croyez pas qu’on a rêvé, n’est-ce pas ? demanda Adam.

- Ce n’est pas une autre illusion d’optique ? s’interrogea Noé.

- Je crois que cette fois c’est un secret. » conclut Diane.

Et Diana sembla le confirmer par un joyeux « Ahhh ! » de satisfaction.


 


 


 

« - De toute façon, personne ne vous croira ! » Affirma Victor lorsque Diane lui raconta la scène étrange vécue avec Tine. Il fut donc décidé de ne plus y penser. Pour l’instant.

Après une journée remplie de jeux Emma vint chercher ses enfants, ainsi qu’Adam et Lucas. Ils s’engouffrèrent tous dans le carrosse de François et Emma et la route fut animée par les plaisanteries que les enfants avaient apprises auprès de leur oncle Jean. Emma regardait souvent par les fenêtres, semblant admirer les paysages et surtout les villages traversés par leur route. Soudain elle frappa deux coups contre la paroi pour signifier au cocher qu’il devait s’arrêter. « - Oh ! Oooh ! » cria-t-il aux chevaux. François et Emma avaient tous deux entendus des clameurs qui semblaient ne pas leur plaire…

« - Restez ici, nous n’en aurons pas pour longtemps. » lança Emma en sautant de leur carrosse, suivie par François. Bien sûr les quatre enfants se penchèrent par la portière pour les suivre des yeux.

Un groupe de villageois s’était rassemblé sur une place et quelques personnes parlaient avec colère tandis que d’autres pleuraient. Diane voyait ses parents se rapprocher d’eux. En les apercevant, on s’écarta en leur désignant deux couples en grand émoi. « - Allons écouter ! », décida-t-elle. Sans un mot les quatre enfants se faufilèrent derrière la foule, tâchant de raser suffisamment les murs pour ne pas attirer l’attention. Mais l’attention des villageois était accaparée par les scènes de rage comme de chagrin visibles sur la place. Les quatre espions pouvaient donc observer à leur aise.

« - Leur fille ! Cria un homme en montrant du doigt une femme effondrée soutenue par un homme qui serrait les dents. Ils ont tué leur fille !

- C’est comme les deux petits des meuniers ! Disparus ! Et puis on les retrouve en morceaux ! Vous imaginez ! En morceaux ! »

Lucas recula, blême. Adam, Victor et Diane le regardèrent, interdits.

«  - Nous n’entendons pas bien, d’ici. Nous avons mal compris... » lâcha-t-il.

Adam retourna en courant dans le carrosse. Diane murmura, le ton haché :

« - Mes parents nous expliquerons. Nous ne devrions pas être là…

- Oui, nous avons sans doute mal compris… chuchota Lucas en prenant la main de Diane pour l’emmener rejoindre Adam.

- Attendez ! C’est grave, quand même ! Leur lança Victor. Moi, je veux savoir ce qui se passe ! »

Les discours allaient bon train sur la place du village : certains demandèrent à François et Emma s’ils voulaient voir de leurs yeux les corps des enfants, ou du moins de ce qu’il en restait. D’autres plaignaient les parents. D’autres encore réclamaient vengeance. Mais contre qui ? Chacun y allait de son explication : un noble fou, comme il y en avait dans les châteaux de contes de fée, sortait la nuit pour tuer des enfants. Un chien enragé, un énorme chien, s’attaquait aux brebis et maintenant aux enfants. Un monstre, un dragon sans doute, venait hanter les forêts et tuait tout ce qu’il trouvait au bord de l’eau lorsqu’il venait s’abreuver… Victor n’entendit pas tout. Adam lui attrapa le bras :

« - Viens ! Que veux-tu que l’on fasse ? Allons attendre que tes parents reviennent. Ils sont occupés. »

Diane lança un regard surpris à son cousin : il semblait trouver normal que les villageois interpellent ses parents, comme s’ils pouvaient y changer quoi que ce soit ! Ceci dit, pensa-t-elle, ce sont eux qui étaient descendus de leur carrosse… Ils avaient été à la rencontre des problèmes… Elle se laissa emmener sur la banquette douillette tout en tendant l’oreille aux échanges animés auxquels ses parents participaient activement. Emma interrogeait, François promettait de les aider… « - Ah ! Pensa Diane. Papa est toujours là pour secourir tout le monde ! »

Finalement Emma et François semblèrent débattre entre eux puis trouvèrent un accord : Emma retourna seule vers le carrosse.

« - Il nous rejoindra plus tard, expliqua-t-elle.

- Mais il n’a pas de cheval ! Protesta Victor.

- Il en trouvera sûrement un, malin comme il est ! Lui répondit Lucas. » Emma lui sourit et frappa à nouveau près du cocher. Ils reprirent la route.

«  - Que s’est-il passé ? Questionna Diane.

- Quelqu’un a commis des crimes ici. Mais nous le retrouverons.

- Nous ?

- Je veux dire… Ils seront retrouvés ! Ton père va en parler à Pierre et à Jean, et ils préviendront l’armée royale. Tu sais que Pierre travaille au Château…

- Oui, dit Victor. Le Château du Roi. »

Lucas et Adam échangèrent un regard complice. Diane pensa qu’ils étaient probablement très fiers de leur père, et elle les admirait de ne jamais s’en vanter. Aussi loin que remontaient ses souvenirs, ils n’avaient même jamais évoqué le travail de Pierre.

Elle se dit alors que l’assassin qui avait ainsi meurtri ce village allait bientôt le payer. C’est sûr. Elle se le répéta. Elle en parlera aussi avec Victor et ses cousins, qui seront sans doute aussi confiants qu’elle. Pourvu que son père se contente de prévenir Pierre ou l’armée royale… Pourvu qu’il ne prenne pas de risque…

Emma se lança alors dans une chanson très drôle, qui parlait de lutins et de leurs farces, puis d’enfants… Ces derniers se révélèrent, à la fin de la chanson, être les terribles lutins décrits au début. Alors Emma se retrouva assaillie par quatre enfants faussement furieux d’avoir été ainsi moqués !

L’ambiance se détendit ainsi mais au moment d’aller dormir Adam glissa à Diane et aux garçons : « - J’ai entendu une histoire, un jour… Qui parle de sirènes. Elles sont très belles, attirent ceux qu’elles veulent, et puis… Elle les dévorent !

- Ce n’est qu’une histoire ! Protesta Victor. Et en plus elle n’est même pas comme ça ! Les sirènes attirent les marins au fond de l’eau !

- Bon, peut-être… Mais elles les tuent !

- On ne pourrait pas raconter une histoire agréable, ce soir ? Demanda Diane. »

Elle supposa que les pensées d’Adam n’avaient pas pu s’éloigner de ce village. Il la regarda avec insistance. Puis lui siffla : « - Elles sont toujours très belles, les sirènes… Elle pourraient s’approcher des enfants sans qu’ils ne se méfient. Et alors... » Diane lui lança un coussin à la figure.

Il n’en fallut pas plus pour qu’un bataille d’oreillers éclate !

Emma monta rejoindre les enfants et n’avait pas le cœur d’interrompre ce massacre. Ce ne fut pas un massacre pour les enfants qui sortirent tous de ce combat sains et saufs et même agréablement épuisés. Mais il y eut de nombreux blessés parmi les coussins. Certains semblèrent même ne pas pouvoir y survivre.


 

Chapitre 3, Les tueurs d’enfants

2 décembre 1659

Dans la nuit, elle entendit les bruits sourds des sabots sur le sol froid de la cour. Aussitôt Emma sortit : elle trouva François dessellant son cheval.

« - C’est grave, lui dit-il avec un sourire désolé en la voyant approcher.

- Nous dirons aux enfants que ce sera bientôt réglé. Ils ont entendu les villageois et il faut les apaiser.

- Oui. J’irai les voir avant de repartir. » François finissait de poser la sellerie.

« - Je vais appeler Léon pour qu’il s’occupe de Pégase. » dit Emma.

Ils s’embrassèrent, heureux de se retrouver. François espérait qu’Emma ne s’inquièterait pas trop pour les enfants. « Il faudra bien qu’ils comprennent dans quel monde ils vivent et comment se comportent les personnes qui ne font pas partie de leur famille… » pensait-il. Emma souhaitait aider François et regrettait de le laisser mener seul toutes ses missions. Mais elle voulait cette vie loin du monde qui lui permettait d’enseigner à ses enfants ce dont ils avaient besoin, sans influence extérieure. Jusqu’à ce qu’ils soient devenus assez forts et indépendants pour affronter ce monde.

« - Il s’agit bien de meurtres : le premier non loin de la roue d’un moulin et le second près d’une rivière. Les enfants ont été attaqués par surprise dirait-on… Et…. » Il hésita une seconde. « … Et en partie dévorés. » Emma l’interrogea du regard. Il répondit à sa question muette :

« - Oui, c’est forcément un animal. Mais particulièrement brusque et désordonné. On dirait qu’il a bondi pour tuer, puis agi avec désordre pour en manger n’importe quelle partie. Les animaux, pour la plupart, choisissent la meilleure part. Pas ici. Il y a de l’agitation et du gaspillage dans ces attaques. Et je ne vois vraiment pas quelle bête pourrait faire ça, et sans laisser de trace !

- Il faudra prévenir chaque village que les enfants ne doivent plus rester sans surveillance, en attendant de trouver cet animal.

- C’est prévu. Des soldats s’en chargeront. »

Emma regarda la forêt, comme trépignant d’envie de partir enquêter et capturer la créature tueuse. François lui prit une main : « - Allons dormir, maintenant. »

Elle le regarda, l’air d’hésiter.

« - La vie est longue, ma chérie, reprit-il. Tu sais bien que tu ne vas pas partir te battre contre ça : je m’en occuperai pour toi. Pierre a fait ce qu’il fallait. Ta priorité, c’est nos enfants. » Elle lui sourit en soupirant. Pendant qu’ils rentraient tous les deux dans leur jolie maison champêtre, elle laissa son regard dériver dans le passé. Puis, passant près de la chambre des enfants, elle se dit qu’elle avait finalement la meilleure place. Et que bientôt… Elle fut interrompue dans ses pensées par une chatouille de François qui la fit éclater de rire.


 


 


 

« - Ah, chouette alors ! Du coulis de framboise pour nos crêpes ! » s’exclama Victor en entrant dans la salle à manger. Diane engloutissait une tranche de brioche tartinée de miel tandis que Lucas se composait un très coloré et très sucré gâteau de crêpes. Adam dormait encore. Emma arriva avec une grande tasse de thé.

« - Prenez des forces ! Pas de leçon aujourd’hui parce que nous sommes dimanche. Que voulez-vous faire ?

- Du patin à glace ! s’écria Diane, la bouche… Pas encore tout à fait vide.

- Beurk… dit Victor qui finissait de tapisser sa crêpe d’une fine couche de coulis rose. Moi je voudrais sortir les chevaux.

- Alors on emmènera les chevaux aux étangs !

- Pourquoi pas, si on ne patine pas des heures, conclut Emma. Je vais avoir besoin de tissus. Les plus beaux se vendent à Citélia et je vais donc faire le voyage… Est-ce que vous voulez m’accompagner ? Nous devrions pouvoir faire l’aller et le retour en une journée si l’on part tôt.

- Oh, oui ! s’exclama Diane.

- Quand ? Demanda Victor.

- Cette fois, c’est toi le dégoûtant ! cria Diane, faussement écœurée par la miette venant de s’échapper de la bouche de Victor. »

Pendant cette discussion Lucas n’intervint que pour se moquer de Victor, puis croqua dans son empilement de crêpes.

Emma leva les yeux au ciel.

« - Reprenons… Si vous êtes capables de vous comporter de façon polie…

- Oh, oui, bien chûr ! Coupa Victor qui tentait maintenant de parler la bouche pleine en gardant les lèvres aussi serrées que possible.

- Oh, Victooor ! s’écria Diane en riant.

- Donc, disais-je, si après ce petit-déjeuner délicieux vous devenez civilisés… Nous pourrions y aller demain. »

Les enfants furent enchantés ! À tel point qu’ils laissèrent même un instant leurs tartines pour aller embrasser leur mère, prenant tout de même soin de s’essuyer la bouche avant ! Lucas marmonna un « Super ! » à l’attention d’Emma en s’essuyant le visage.


 

Une fois les quatre enfants prêts, Emma et eux partirent vers les étangs en tenant leurs chevaux par la bride. Ils les attachèrent avec de longues cordes qui permettaient aux animaux de déambuler et s’équipèrent pour patiner.

Les glissades furent de purs moments de liberté et de plaisir. Emma admirait Diane et Victor faisant des pirouettes lorsque ce dernier montra le centre de l’étang :

« - Hé ! Je l’ai revu ! Le soit-disant poisson géant ! Il est repassé ! Là ! »

Tous les cinq cherchèrent alors à le voir. Emma sembla apercevoir des ombres passant sous la glace, se dirigea vers elles... Diane et Victor la suivirent. Plusieurs formes sombres, longues et ressemblant à de gros poissons, passèrent non loin d’eux.

« - Ah, tu les as vus, Maman ? Tu me crois, maintenant ? s’exclama Victor.

- Oui... » Emma en resté bouché bée, suivant des yeux les animaux qui semblèrent s’enfoncer sous l’eau pour y disparaître. Elle glissa sur l’étang les yeux rivés sur la glace qu’elle scrutait dans l’espoir de suivre les mystérieuses créatures…

« - Tu n’as jamais vu ça, n’est-ce pas ? Demanda Diane. »

Emma releva les yeux.

« - Je crois que si.

- Quoi ? Adam semblait sidéré.

- Cette forme : ils sont longs, avec cette ligne de nageoires dorsales, et ont une façon particulière d’agiter leur queue…

- Qu’est-ce que c’est ? Demanda Victor.

- On dirait des graoullis…

- Quoi ? Des monstres, des dragons sanguinaires ! s’écria Diane.

- Mais non ! Ils ne peuvent pas être responsables des crimes dont vous avez entendus parler hier : c’est contraire à leur nature. Les graoullis ne devraient pas être là. Mais ils sont très sensibles, ont un cerveau sophistiqué et n’attaqueraient pas des humains. Ce sont des poissons élevés et nourris qui n’ont même pas besoin de chasser ! Je vais en parler à votre père qui préviendra leurs éleveurs afin qu’ils les récupèrent.

- Oui, on lui dira ce soir ! » Affirmèrent Diane et Victor.

Emma les entraîna ensuite dans une course de patins. Qu’elle gagna. Mais ce n’était que partie remise : les enfants allaient progresser très vite et bientôt ils glisseraient sur la glace telles des étoiles filantes, c’était décidé !


 

3 décembre 1659

Emma avait réveillé Adam doucement, le sachant habitué aux grasses matinées. Lui et Lucas avaient adoré, la veille, s’essayer au sabre avec Léonard, passé pour saluer puis embarqué par les enfants d’Isabelle lorsque Victor leur dit que leur Professeur connaissait aussi toutes sortes d’escrime.

Mais la première de la maison à être levée avait été Diane. Emma et François l’avaient trouvée dans la cuisine toute habillée et même armée d’une ceinture avec un couteau !

« - Avec les graoullis qui se sont échappés et surtout le tueur d’enfants, mieux vaut être prudents ! » affirma-t-elle.

Ses parents l’autorisèrent à garder son arme : elle s’était déjà montrée utile pour tailler des branches ou sculpter du bois et Diane en ferait bon usage. Lorsque les garçons les eurent rejoints, ils avalèrent un chocolat chaud, emportèrent un panier empli de provisions et grimpèrent dans le carrosse qui les attendait déjà. Une grande malle vide y avait été accrochée pour être chargée des textiles qu’Emma voulait. Il n’était que 4 heures du matin.

À peine après quelques minutes de route, durant lesquelles les enfants avaient commencé à déguster les tartines de brioche posées en haut du panier, un cavalier les rejoignit. Lucas et Victor regardèrent qui arrivait ainsi.

« - Léonard ! Vous venez avec nous ? »

L’homme approuva en souriant : il ne voulait pas les laisser se déplacer seuls avec les brigands qui rôdaient ! Emma fit un sourire narquois et ajouta : « - Il a un goût très sûr pour les couleurs. Et sans doute envie de s’offrir un nouveau costume ! »

Il monta s’asseoir face à Emma tandis que le cocher attachait son cheval à l’arrière du carrosse. La petite famille reprit ainsi la route.

« - Nous serons à Citélia dans quelques heures et la route devrait être tranquille. » affirma Emma. Les enfants étaient bien réveillés à présent, et heureux de traverser ainsi la région alors que tous dormaient encore. Une heure après leur départ, le cocher, qui pensait que l’un des chevaux commençait à avoir soif, bifurqua vers un puits placé non loin de leur route. Personne n’y prêta attention jusqu’à ce que le véhicule ne s’immobilise. Le cocher descendit prestement, un seau à la main pour puiser. Emma et Léonard jetèrent un œil à l’extérieur et comprirent sa démarche.

« - Maman, est-on arrivés ? Demanda Diane.

- Mais non ! s’exclama Adam en se tapant le front de sa paume. Nous n’avons pas roulé assez longtemps !

- Hé, Adam ! Corrigea Lucas. Tu peux éviter de te moquer ?

- Mais…

- Nous sommes encore loin de Citélia, Diane, coupa Emma. Mais si seulement tu pouvais ne pas me redemander encore mille fois si l’on est bientôt arrivés…

- Ouais ! Ça fait la sixième fois au moins, depuis que nous sommes partis ! s’écria Victor. Comme d’habitude ! » Léonard attrapa le poignet d’Emma pour attirer son attention. Elle suivit son regard… Le cocher s’était immobilisé à deux mètres du puits qu’il éclairait de sa lanterne.

« - Je vais l’aider », dit Emma d’une voix neutre tandis que Léonard reprenait la discussion avec les enfants.

Elle s’avança d’un pas rapide :

« - Paul ! Qu’est-ce que… » Soudain elle comprit. Elle courut vers le puits. Là, elle s’accroupit devant un corps qui semblait assoupi… Mais dans une étrange posture. Elle n’eut pas besoin de le toucher. Se retournant vers le cocher elle murmura seulement :

«  - Il est mort. »

S’avançant à son tour, Paul observa :

« - Cela ressemble aux scènes précédentes, non ? Si je me fie à ce que j’ai entendu.

- Oui, à un détail près. Lui est un adolescent.

- Alors…

- Alors notre tueur élargit le champ de ses victimes… Il va devenir de plus en plus dangereux…

- Autre chose… murmura Paul.

- Quoi ?

- Ce puits : je ne l’avais jamais vu avant.

- Oui… ?

- La rivière n’est pas très loin. Pourquoi l’avoir creusé là ? »

Emma le dévisagea : Paul avait toujours un sens tellement pratique !

« - Ne disons rien aux enfants…

- Ce sera difficile... »

Emma suivit le regard de Paul dont la lanterne éclairait bien le corps, à présent. Du carrosse, les quatre enfants se penchaient à la fenêtre, retenus par Léonard qui leur interdisait de sortir.

Emma soupira de contrariété et marcha rapidement vers eux :

« - Nous avons un problème. Je suis désolée, les enfants… Nous irons à Citélia un autre jour. » Avant que les enfants n’aient le temps de l’assaillir de question, Léonard ouvrit la portière et descendit en leur ordonnant: « - Donc vous serez patients, n’est-ce pas ? Je vais veiller ici et vous allez chercher de l’aide. »

Emma l’approuva d’un regard et, excepté Léonard, toute la petite troupe fit demi-tour.

Il firent un détour pour s’approcher d’une rivière à quelques kilomètres en aval. Paul et Emma détachèrent les chevaux pour les abreuver après avoir répété aux enfants de ne pas quitter le carrosse.

Ils y restèrent donc. Lucas semblait réfléchir à haute voix :

«  - Je reconnais cet endroit. La rivière descend du Mont Espoir et la route la longe presque sur des dizaines de kilomètres.

- Tu es déjà venu ici ? Demanda Diane.

- Parfois, en promenade avec mon père.

- Et qu’est-ce que ça veut dire, d’après toi, ce mort près du puits ? Demanda Victor qui sentait que son cousin avait une idée derrière la tête.

- Hé bien, vous voyez, la glace n’est pas si dure à casser, ici. Et l’eau des rivières est toujours meilleure que celle des puits.

- Oui, certes ! Coupa Adam qui étirait ses jambes.

- Alors pourquoi avoir construit un puits près d’ici ?

- Voyons, rétorqua Diane, pour que les villageois n’aient pas des heures de marche !

- Alors qu’il n’y a aucun village près du puits de tout à l’heure ?

- Quoi ? s’exclama Adam qui se redressa d’un coup. Tu es sûr ?

- Absolument ! Je reconnais cet endroit, je te dis ! Et à moins qu’un village ne puisse pousser à la vitesse d’un champignon, il n’y en avait encore aucun le mois dernier !

- Là, ce serait plutôt les puits qui pousseraient comme des champignons… plaisanta Diane.

- Mais oui ! Et pourquoi ça ? Demanda Victor. »

Les quatre enfants se regardèrent. Lucas tourna son regard vers Emma. À moins que ce ne soit vers Paul… Adam reprit alors :

« - Votre mère va en parler avec notre père, et ils trouveront la réponse.

- Maman ? Reprit Diane. Et nous alors ? On pourrait aussi la trouver, cette réponse, non ? On devrait en parler avec eux.

- Oui, on en parle à Maman dès qu’elle a fini avec les chevaux.» Conclut Victor.

Le chemin du retour fut donc un échange animé de toutes les hypothèses possibles. Mais aucune d’entre elle ne semblait vraisemblable…


 

Le soleil se levait lorsqu’ils arrivèrent à la maison.

Après les discussions de la route, les enfants voulaient participer à l’enquête. « - Pas question, trancha Emma : c’est le Roi qui décide de cela et vous êtes des enfants. Si vous vous ennuyez, on peut reprendre les leçons ! » Devant les protestations des enfants elle promit de les informer de la suite des événements (mais elle ne précisa pas qu’elle ne leur transmettrait que les informations rassurantes!).

« - Maintenant, vous avez la journée pour faire ce que vous voulez, mais jamais sans adulte près de vous. Nous irons à Citélia comme promis, mais demain. »

Emma partit écrire à Pierre et à Isabelle pour les prévenir. Bientôt plusieurs pigeons voyageurs s’envolèrent.

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