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Chapitre 7, Les pièges infernaux

 

L’après-midi commença avec un grand soleil et lorsque les enfants demandèrent à aller en forêt pour construire des cabanes Amélie proposa de les accompagner. Jean décida de se joindre à eux.

Ils se rhabillèrent, embrassèrent Emma et coururent, suivis par Amélie.

« - Ils sont infatigables, ces enfants ! Observa Cloé. Mais vous les surveillez tout le temps…

- Justement parce que ce sont des enfants, expliqua doucement Emma.

- Ah oui, bien sûr. »

Léonard avait l’air occupé à essuyer la vaisselle mais s’approcha de son amie :

« - Du nouveau ? Demanda-t-il.

- Oui, répondit Emma. Amélie m’a dit que les attaques se poursuivaient et ceci, le long de la rivière et de plus en plus loin… Plusieurs victimes ont pu être sauvées par la réactivité des patrouilles mais cela ne s’arrête pas… Au contraire... 

- C’est terrible, dit Lavita qui remarqua aussi : mais quand votre amie a-t-elle pu vous expliquer tout cela ?

- Tout à l’heure ! Vous ne pouviez pas le remarquer : vous étiez occupée.

- Oh… Vous vous comprenez vite et bien, entre amies. » Et Lavita termina d’essuyer la table.


 

Diane, Victor, Adam et Lucas se montraient des arbres en clamant qu’ils donneraient du bon bois pour leurs cabanes. Amélie les laissait échanger leurs remarques et leurs idées sans rien dire et ils décidèrent par eux-mêmes de plutôt utiliser les branches tombées au sol. Ils choisirent un endroit situé sur les racines d’un vieux et large tilleul : ses branches les plus basses pouvaient facilement servir de support à un plancher.

«  - Il y a des lianes, ici, mais j’ai besoin d’aide pour les couper ! »

Lucas sortit un couteau et la rejoignit tandis que Victor et Adam exploraient de plus en plus loin pour ramasser des branches suffisamment solides.

« - Hé, j’en ai trouvé tout un tas ici ! s’écria Victor. Il y a eu des arbres coupés en tronçons et il en reste des morceaux !

- Je pose mes morceaux de bois et j’arrive ! » Répondit Adam. Il se hâta afin de rejoindre son cousin et les garçons s’éloignèrent encore. Une éclaircie les attira.

« - Hé, venez ! Venez ! » crièrent-ils soudain.

Ils se trouvaient en surplomb d’une vallée habitée par deux villages, irriguée par la rivière qui y descendait plus loin. Une pente douce pourrait permettre de glisser jusqu’en bas. Construit entre des arbres qui le dissimulaient à tous ceux qui n’étaient pas à côté de lui, un puits neuf trônait.

« - Encore un puits neuf et inutile ! » s’exclama Lucas.

« - Inutile… Pourquoi a-t-il été construit, alors ? Corrigea Diane.

- À nous de le découvrir, s’exclama Victor. »

Mais Amélie, qui avait contourné la construction sans rien dire, intervint :

« - Félicitations pour votre découverte, les garçons. Mais vous devez cesser votre exploration ici. Je vous ramène. »

Les quatre enfants se regardèrent, hésitants. Ils étaient persuadés que l’enquête devait être menée ici : les puits avaient forcément un rapport avec les attaques ! Pour des raisons qu’ils ignoraient les graoullis s’étaient échappés pour s’en prendre à la population. Ils seraient probablement capables d’éclaircir ces mystères si on les laissait faire ! « - Vite, rentrons ! Vous raconterez votre découverte chez Lavita. »

Les enfants hésitèrent, contrariés. Puis soudain, Diane ne se démontant pas affirma sur un ton qui ne permettait pas le doute :

« - Mais, Amélie ! Maman nous a justement permis d’explorer les puits si on en voyait qui semblaient trop neufs ! Elle nous a même dit que tu serais avec nous et qu’avec toi nous ne risquions rien ! » Sa Professeure observa un instant l’air assuré de la fillette.

« - Oh, dans ce cas, si elle vous a dit ça… » répondit finalement Amélie d’un air complaisant. Avant de murmurer à voix basse : « Mais vous me racontez des histoires et votre maman le saura… Tant pis pour vous ! »

Lucas grimpa le premier sur la margelle : une échelle permettait ensuite d’y descendre. Amélie le suivit…


 

Diane ramassa un bâton.

Puis, avec Adam et Victor, elle suivit Lucas et Amélie qui s’enfonçaient dans l’obscurité du puits. De longs mètres plus bas, ils mirent pied sur un sol humide mais non inondé. Amélie sortir un branchage de sa poche et le frotta sèchement contre une pierre sèche de la paroi : il s’enflamma aussitôt.

« - Oh !! s’exclama Diane. Un tunnel ! »

En effet, un trou s’ouvrait devant eux, béant vers un chemin creusé dans la roche tel la bouche d’un serpent sombre et menaçant. Que pouvait-on cacher ici ?

« - Restez près de moi. » Ordonna Amélie en s’engageant dans le passage obscur.

Lucas ressortit son couteau et le tint fermement, décidé à défendre sa famille si nécessaire. Les autres ramassèrent une pierre. Le feu s’éteignit soudain.

« - Ne vous inquiétez pas, j’ai d’autres branchages. » dit Amélie. On entendit des frottements secs puis la lumière réapparut. Amélie défit son écharpe, la tendit à Diane qui comprit et l’enroula autour de son bâton. Sa professeure l’arrosa alors avec un flacon d’huile qu’elle gardait toujours sur elle et enflamma le tissu. Le tunnel se trouva alors illuminé par ce flambeau.

Le trajet sembla aux enfants durer des heures. Victor n’osait pas parler. Il tendait l’oreille, attentif au moindre bruit, craignant de se trouver nez à nez avec un monstre tueur… Chacun le craignait et se taisait pour ne pas attirer la créature…

Le sol se mit à scintiller devant eux : de l’eau. Les enfants marchèrent alors dans des flaques peu profondes. Heureusement que leurs bottes étaient parfaitement étanches, faites pour courir dans la neige ! Le pied d’Amélie s’enfonça soudain.

« - N’avancez plus ! » ordonna-t-elle.

Ils stoppèrent net tous les quatre.

Elle fit encore un pas : ses pieds étaient recouverts d’eau jusqu’aux mollets. Le bas de sa robe était mouillé et son manteau ne tarderait pas à l’être si elle continuait.

« - C’est un lac souterrain… murmura Adam.

- En effet. Prenez la torche et mon manteau. » répondit Amélie en tendant ses affaires aux enfants.

« - Mais… demanda Diane inquiète, tu vas là-dedans ?

- Et nous laissant t’attendre ? Ajouta Adam. »

Mais Amélie regardait derrière eux, comme concentrée sur un objet ou une idée invisible.

« - Faîtes-moi confiance. Et nous avons marché lentement : vous avancerez plus vite en retournant sur nos pas. »

Elle observa la galerie dans laquelle ils se trouvaient : sur les côtés, d’étranges appareils étaient fixés dans la pierre : des formes métalliques presque coniques et reliées à de petits appareils ressemblant à des sifflets complexes. Elle tendit le bras, tira sur les objets qui résistaient. Elle s’avança alors et saisit à deux mains l’un des sifflets qui avaient une drôle de forme : il fut détaché en une seconde. Elle le remit à Diane :

« - Amenez ça avec vous. Allez-y maintenant ! »

Elle leur tourna alors le dos et s’avança dans le lac. Rapidement elle plongea et disparut.

Lucas et Adam s’avancèrent pour essayer de la voir mais Victor et Diane se préparaient à rebrousser chemin.

« - Amélie sait ce qu’elle fait ! leur dit Diane.

- Mais… tenta Lucas.

- Nous devons obéir, coupa Victor. Sortons. »

Les quatre enfants étaient pressés de retrouver la lumière du jour mais se retournèrent quelques fois, craignant l’obscurité qui les suivait. Amélie avait eu raison : ils avançaient beaucoup plus vite qu’avant ! Chacun se retenait de courir pour ne pas montrer sa peur aux autres, aussi progressaient -ils d’un pas rapide. Diane se reprocha d’avoir menti pour explorer ce puits : que dirait sa mère, sutout s’il arrivait malheur à Amélie ou à l’un d’entre eux ?


 

Elle eut bientôt la réponse à sa question.

Ils grimpèrent l’échelle l’un derrière l’autre. Lucas avait proposé de faire monter Victor en premier pour vérifier qu’il n’y avait pas de danger, puis Diane et enfin Adam, lui-même remontant en dernier. En réalité il trouvait bien plus probable d’être attaqué par derrière que par l’extérieur.

Lorsque Victor atteignit la margelle du puits, il eut un mouvement de surprise, puis sauta au sol sans un mot. Diane arriva à son tour, fixa quelque chose à côté du puits en laissant un « Ho ! » inquiet lui échapper. Adam poussa un cri de joie et enfin Lucas vit qu’ils étaient attendus.

Pierre et Emma étaient postés là, debout et les bras croisés, semblant les attendre.

Les quatre aventuriers n’osèrent pas manifester trop de joie : ils avaient la sensation d’avoir fait une bêtise et de risquer d’en payer les conséquences.

« - Bravo pour votre découverte… commença Pierre sur un ton engageant

- … Mais qu’est-ce qui vous a pris ? Poursuivit Emma visiblement très contrariée. Vous ne savez pas reconnaître le danger lorsqu’il se présente ? Vous ne pouviez pas deviner que si ce puits est lié aux agressions vous devriez vous en éloigner et nous prévenir ?

- Ce n’était pas prudent, confirma Pierre. Heureusement que vous étiez avec Amélie…

- Mais ce n’est pas une raison. » trancha Emma.

Pierre n’ajouta rien et Diane supposa que son oncle comprenait mieux que sa mère, qui n’avait probablement jamais vécu d’aventures, contrairement à lui qui travaille pour le Château ! Elle tenta d’en profiter :

« - Mais, Maman, tu sais, nous étions cinq, tout de même. Et puis, à quoi servent nos cours de combat si on doit toujours avoir peur ? Et puis, Amélie aussi pensait que nous ne risquions rien ainsi, sinon elle nous aurait interdit d’y aller et... »

Emma fronça les sourcils et adopta son regard de tueuse, celui qui annonçait une punition sévère. Victor sentit un courant froid lui traverser le dos : décidément, sa sœur aggravait les choses ! Diane, à force de réussir à amadouer leur père, tentait la même opération sur leur mère mais cela semblait clairement plus aléatoire…

Emma reprit :

« - Amélie n’étant plus là pour vous accompagner afin que vous construisiez des cabanes, vous devez donc reporter ce jeu et vous allez reconstruire la grange de Lavita : il ne reste que quelques planches à fixer et du nettoyage, ce qui est à votre portée. Vous verrez de vous-mêmes. »

Lucas et Adam se retinrent de sauter de joie : en effet ils avaient craint d’être punis eux aussi (ce que leur père aurait approuvé) mais les travaux ordonnés par leur tante ne leur déplaisaient pas.

Emma fit un signe de la tête et la petite troupe repartit vers la chaumière.

« - Ah, Maman ! minauda Diane, Amélie nous a confié ça... » Elle tendit l’objet insolite ressemblant à un sifflet, qu’Emma prit avec précaution, montra à Pierre puis glissa dans une poche.

Victor se dit que sa mère cachait bien son angoisse. Lucas se dit que sa tante jouait bien son rôle de mère inquiète… Parce que le regard calme de son père trahissait le fait qu’ils n’avaient pas été si exposés que ça…


 


 

Lucas comprit pourquoi après avoir vu Jean revenir au galop chez Lavita : il était donc parti ? Bien sûr ! Sinon il aurait achevé le travail de la grange avec eux ! Ainsi que Léonard d’ailleurs, qui lui aussi revint peu de temps après Jean. Mais Amélie ne reparaissait pas…

« - Il ne reste plus qu’à balayer ! s’exclama-t-il. Vous pouvez finir sans moi ? Je dois…

- Mais pas question, s’écria Diane, outrée. Pourquoi est-ce que nous en ferions plus ?

- En fait, j’ai cloué plus de planches que…

- … Ce n’est pas une raison ! Qu’est-ce que tu manigances ? »

Elle avait vu juste : il avait prévu d’espionner Jean et Léonard car ils étaient probablement en train de parler avec Pierre et Emma. Peut-être avaient - ils vu Amélie…

« - Bon, d’accord, céda-t-il. On devrait aller aux nouvelles mais je voulais écouter discrètement.

- Nous sommes toujours discrets ! Affirma Adam.

- Dans ce cas, dit finalement Lucas mais à regret… Approchons-nous d’une fenêtre et écoutons ! »

Les quatre espions coururent dans la neige derrière les barrières neuves d’un jardin qui les cachaient, revinrent vers l’habitation par son côté sans fenêtres puis se glissèrent le long du mur, penchés en avant, pour se poster sous la fenêtre la plus large : le vitrage était fin et puisqu’il n’y avait aucun bruit dehors ils pouvaient comprendre la plupart des mots échangés par leur famille.

« - Les soldats ont donc examiné l’entrée construite dans la rivière et qui mène vers le puits ainsi que les environs ? Demanda Pierre.

- Tout à fait, répondit Léonard. Et j’ai été observer les engins construits dans la galerie souterraine. En voici le schéma ! »

Un court silence indiqua que chacun se penchait sur les plans de Léonard.

« - Emma…

- Oui, Pierre. Ces formes paraboliques et cet objet qu’Amélie a arraché m’y font penser aussi.

- Penser à quoi ? Demanda Jean.

- Ces machines produisent vraisemblablement des ultra-sons en grande quantité et avec une grande puissance.

- Et… ajouta Léonard, étant donné ce que j’ai observé, ils se propagent selon un certain rythme, comme un langage... »

Un nouveau silence se fit.

« - Les graoullis… » souffla Jean.

Soudain une boule de neige frappa les jambes de Victor. Il se retourna, imité des trois autres aventuriers : Cloé les observait, appuyée contre une barrière du jardin. Elle leur fit signe de la suivre.

« - Elle va nous faire repérer, murmura Lucas. Alors autant la rejoindre ! »

Ce qu’ils firent.


 

« - Alors, minauda-t-elle : il paraît que vous vous êtes fait grondés ?

- Pas vraiment, répondit Diane. Nous avons terminé les travaux de la grange !

- Enfin, presque, corrigea Lucas.

- Dans ce cas finissons-les et vous me raconterez vos aventures ! Comme c’est intéressant, d’être avec vous ! »

Diane s’amusa de la légèreté de cette femme incompréhensible et fut ravie de parler avec elle des mystères qu’ils allaient probablement bientôt éclaircir…

Tout en attrapent un balai qu’elle maniait si légèrement qu’elle semblait danser, elle commenta : « - Surtout ne soyez pas inquiets. Vous ne risquez rien et vos parents vont résoudre cette affaire. »

Victor se demandait d’où pouvait lui venir un tel optimisme.


 


 

Amélie était rentrée chez elle pour se changer. Aussi les enfants ne la revirent-ils pas le lendemain, lorsqu’il fut temps de raccompagner le garçon blessé chez ses parents. Emma leur assura que leur Professeure allait bien et s’occupa de mettre sur un cheval le jeune homme qui se plaignait beaucoup de sa jambe.

« - Maman, demanda Diane, est-il vraiment capable d’être transporté ?

- Bien sûr. Ne te fie pas à ses jérémiades. Il préférerait rester couché et soigné mais le laisser se faire entretenir n’aiderait personne, n’est-ce pas ? »

La fillette rit : en effet elle avait entendu ses parents dire qu’il cicatrisait bien alors que le garçon gémissait toujours dans son langage étonnant. Elle avait hâte de voir la réaction de ses parents à lui, non à ses blessures, mais face à ses plaintes !

« - En route, jolie troupe ! Lança Emma qui tenait le garçon devant elle sans selle.

- Son village est à vingt minutes au petit trot, ajouta Léonard. »

Ils avaient averti Lavita qu’ils reviendraient chez elle avant midi, finiraient quelques menus travaux puis, la plus urgent de sa maison étant remis en état, reprendraient la route le lendemain matin, très tôt afin de profiter d’une longue journée à Citélia.

Puis les cavaliers se mirent en route. Victor et Lucas se regardaient d’un air qui disait : « - Tenons bon ! Ce n’est pas un long trajet : notre blessé sera bientôt chez lui et ne se plaindra plus ! »

Le chemin fut sans embûche.

« - Au fait, Emma, demanda Adam. Il y avait des gardes près de la rivière avant qu’Amélie n’y arrive ?

- Ils ont inspecté les berges. » répondit-elle laconiquement. 

Mais le garçon aurait voulu plus de détails sur ce qui s’était passé après leur retour en arrière pour sortir du puits. Il n’était pas le seul à chercher une logique dans tout ce qui s’était passé.

« - Et Léonard et toi, reprit Victor, comment avez-vous su où on était ?

- Nous vous cherchions pour un goûter, répondit Léonard. Nous avons suivi vos pas dans la neige et avons aperçu un puits. En nous y penchant nous avons entendu vos voix : vous parliez mais n’appeliez pas à l’aide. On s’est dit que vous aviez eu une mauvaise idée et préférions vous attendre à la sortie. »

Le jeune homme déclara que les puits neufs étaient dangereux, probablement hantés par des vampires ou des dragons. Lucas imagina un animal mi-poisson mi-dragon rejoindre le puits par le passage venant de la rivière puis grimper par l’échelle jusqu’à la forêt… Les barreaux étaient solides et c’était tout à fait possible. Mais les monstres étaient-il capables de construire des puits et des machines ?… Qui servaient à quoi, d’ailleurs ? Il tenta de se rappeler la discussion qu’ils avaient écoutée… Victor l’observait puis s’approcha de lui :

« - Lucas, lui lança-t-il, tu crois aux monstres, toi ? Parce que ça n’existe pas, n’est-ce pas ?

- J’avoue que je ne sais pas trop…

- Écoute : Ce sont des humains qui ont construit toute cette machinerie. Les animaux ne savent pas faire ça.

- Ah non, c’est sûr.

- Donc, voici ce que je pense… dit Victor en hésitant.

- Ce que tu penses ?… reprit Lucas pour l’encourager.

- Il s’agit de monstres mi-humains mi- animaux, disons des chimères en partie humaines. »

Victor ne semblait pas sûr de son hypothèse mais Lucas y réfléchit sérieusement. Cela expliquerait tout… Les constructions, les morsures, les poissons monstrueux avec des tentacules et la faculté de monter une échelle, la sauvagerie des attaques…

« - Je crains que tu n’aies raison, conclut-il. Je ne vois pas de meilleure explication. »


 


 


 


 

Ils arrivaient dans le village du garçon. De plus en plus de monde venait s’attrouper pour les voir, observant le rescapé. Lucas et Léonard aidèrent le jeune homme à descendre et le soutinrent jusque chez lui. Ses parents se jetèrent sur lui et le portèrent presque, jusqu’à un lit. L’endroit était pauvre mais de nombreux enfants entourèrent vite leur frère blessé. Ils lui posèrent des centaines de questions, s’exclamant à chacun de ses réponses. Le jeune homme était aujourd’hui leur héros. Même son père, à l’aspect particulièrement bourru, souriait et lui posait une couverture sur les jambes.

Victor, Diane, Lucas et Adam restèrent un instant émus devant cette scène de retrouvailles. Un enfant qui s’était trop éloigné et retrouvé au milieu du danger, revient après des jours d’absence… En se retournant, Victor eut l’impression que tout le village s’était attroupé devant la misérable cabane : certaines personnes pleuraient silencieusement, un large sourire soulagé aux lèvres, d’autres s’exprimaient vivement, avec enthousiasme. Les plus jeunes se bousculaient devant l’unique fenêtre pour suivre des yeux le miraculé. La mère du garçon se jeta au cou de Léonard, le sauveur de son fils. Puis elle embrassa Emma, Diane, Victor, Lucas et Adam en les remerciant d’avoir pris soin de son enfant.

Victor rejoignit rapidement les chevaux. Beaucoup trop d’émotions entouraient cette maison ! Emma et Léonard serrèrent la main du père puis tentèrent de repartir. Une flopée d’enfants attrapa Léonard pour le serrer dans leurs bras : tout le monde savait qu’il avait sauvé le jeune homme d’une mort atroce. Diane, Lucas et Adam rejoignirent Victor, joyeux.

« - Tu vois comme tout le monde est soulagé ? s’exclama Diane.

- Ils ont tous vraiment peur, expliqua Lucas. »


 

Enfin, ils purent tous les six remonter à cheval : la foule les saluait encore, tout en restant autour de la masure du garçon blessé. Des enfants couraient à côté des chevaux pour les regarder encore une fois… Pour ne jamais oublier que le mal ne gagne pas toujours...

Ils reprirent la route rapidement. Les enfants restèrent songeurs un bon moment.

Puis Adam s’approcha de Victor et de Lucas :

« - Que disiez-vous avant, sur la route ? Vous parliez si sérieusement !

- Que les monstres existent, répondit Victor, fermement cette fois.

- Et qu’ils sont pires que ce qu’on imaginait, compléta Lucas. »

Diane se retourna : au loin un groupe d’enfants les observait encore, du haut d’une petite butte : elle les salua.


Chapitre 8, Citélia


 

« - Au revoir, Lavita ! Nous reviendrons te rendre visite !

- J’en serai enchantée ! »

Diane serrait son hôtesse dans ses bras : elles avaient vécu ensemble des aventures incroyables ! Elle espérait avoir la permission de se déplacer, lorsque les monstres ne sèmeraient plus la terreur, pour revenir voir cette femme si joyeuse et si accueillante.

Elle se sentait utile et fière d’avoir pu l’aider à effectuer quelques réparations dans sa grande et pauvre maison. Son père était souvent venu les rejoindre dans la journée, repartant le soir pour se renseigner sur la capture des graoullis et retourner travailler avec Pierre et Jean. Ces derniers avaient également été présents de temps en temps, enchantant la journée de leurs éternelles plaisanteries.

Ils étaient restés chez Lavita plus longtemps que prévu mais quelle tristesse de se quitter. Victor finissait un énorme bonhomme de neige vêtu d’un vieux manteau bleu et auquel il venait d’ajouter un grand sourire.

«  - Il te fera penser à nous ! » déclara-t-il à Lavita. Cette dernière applaudit puis envoya des baisers de la main avant d’embrasser Emma rapidement. L’émotion devenait difficile à contenir : jamais, vraiment jamais, on ne l’avait autant aidée et soutenue ! D’abord Emma et Léonard amenés par son amie Cloé, puis l’arrivée imprévue des ces quatre cavaliers qui étaient revenus régulièrement… Le visage de Pierre lui rappelait vaguement quelqu’un, mais elle ne savait plus qui. Elle l’avait probablement croisé un jour, en ville. Un sourire aussi rayonnant ne peut pas s’oublier complètement !

Paul était arrivé avant le lever du soleil avec le carrosse réparé et il attendait maintenant à côté des chevaux bien reposés et impatients de reprendre la route. Le ciel rose s’éclaircissait. Emma avait voulu partir avant l’aube mais la séparation était plus longue que prévue, chacun souhaitant raconter à quel point ces jours de travail et de fête avaient été plaisants, malgré l’attaque du jeune homme et l’exploration angoissante du puits. Il était toujours question pour Léonard de les accompagner à Citélia. Emma avait rassuré les enfants : les routes étaient fréquentées et sécurisées par les nombreuses patrouilles royales, Citélia était toujours sublime et ils y feraient de magnifiques découvertes, dans ses boutiques comme dans ses rues.

Lavita se retira dans l’ombre de son porche et salua la petite famille de la main. Elle pleurait, cachée, d’avoir des amis.

 

Les quatre enfants étaient très excités par la journée qui s’annonçait. « - Chuut ! Écoutez ! » Emma tendait l’oreille et fut rapidement imitée par tous : on entendait un chant, ou plutôt la fin d’un chant clamé d’une voix claire, équilibrée, parfaite et très haute : Nostale était sans doute à nouveau près de son ruisseau, chantant sa peine. Paul arrêta les chevaux et on entendit la dernière strophe de son chant improvisé et lancé dans les bois par celle qui se croyait toujours seule.

« - Comme c’est triste... commenta Diane.

Elle dit « Et je lutte, et je danse, et je souris même lasse. J’ai perdu, tant pourtant, que mon cœur en trépasse… Mais je lutte, mes enfants, je n’abandonnerai pas... »… Nostale parle de Lavita, non d’elle-même !

- Comme Nostale est triste, toujours triste… répondit Lucas. Elle capte toutes les tristesses des autres et la chante... »

Emma approuva et sans qu’il ne soit nécessaire de le demander, le cocher remit le carrosse en route.

Les enfants se couvrirent de couvertures duveteuses et semblèrent s’assoupir. Diane imaginait Lavita danser en se répétant le chant de Nostale : « Et je lutte, et je danse, et je souris même lasse... ». Son sourire l’accompagna lorsqu’elle se mit à somnoler…

La journée sera belle… Malgré tout…


 


 

« - Nous approchons ! » s’exclama joyeusement Emma. Elle semblait heureuse de venir à Citélia, comme lorsque l’on retrouve un ami cher qui n’a pas été vu depuis longtemps. Diane pensa que sa mère se laissait probablement fasciner par l’agitation d’une si grande ville et raffolait de ses commerces si variés. Cela serait bien différent des villages qu’ils fréquentaient de temps à autre ! La fillette était elle aussi très impatiente de découvrir non seulement une grande ville, mais LA ville.

« - Je vous ferai visiter ! s’exclama Emma. Vous ne verrez nulle part d’aussi beaux monuments ! Tout est sublime ! Et la cité a été bâtie de façon à ce que la beauté et la lumière soit partout !

- Maman, remarqua Victor, c’est normal que Citélia soit belle : c’est tout de même la capitale du Royaume !

- En effet, poursuivit Léonard. Mais cette capitale-là était incluse dans les plans du Château : le Roi l’a bâtie en même temps et dans le même style que le Domaine Royal de Citélia. Les premiers logements, ceux qui sont les plus proches de la route montant au Château, sont ceux des artisans qui étaient nécessaires pour vivre et bâtir : c’est d’ailleurs encore le cas. Ensuite, les maisons se sont construites pour d’autres professions, notamment les métiers de lettres et de finances. Ensuite viennent celles des artisans comme les peintres, les couturiers, cordonniers, restaurateurs… qui sont intervenus en second lieu dans la construction ou la vie quotidienne des habitants, puis enfin de tous ceux qui ont décidé de venir vivre ici ! Les ouvriers ayant participé ou participant encore aux travaux commandés par le Roi sont logés gratuitement avec leur famille et leurs enfants sont éduqués dans l’une des nombreuses écoles royales. Ils peuvent ainsi dépenser leurs salaires dans les commerces de Citélia ! Et la ville s’agrandit encore.

- Et les paysans ? Demanda Adam.

- Ah oui ! Eux, par contre, logent dans les fermes qui entourent la capitale. Ils sont donc hors de la ville mais la garnison de surveillance de Citélia fait des rondes quotidiennes sur leurs terres pour dissuader les voleurs.

- Ah oui, approuva Adam. Tu imagines ça, qu’on pille les fermes et que Citélia n’ait plus de nourriture ? Ce serait l’horreur ! »

Diane, Victor et Lucas éclatèrent de rire. Pour Adam, une diète serait en effet pire que la destruction des monuments de Citélia !

« - Mais savez-vous pourquoi cette ville s’appelle Citélia ? Ce que ça signifie ? Demanda Léonard qui semblait très désireux de leur apprendre ce qu’il savait de cette ville.

- Citélia comme cité ! Parce que c’est la Cité du Roi ! Répondit Diane.

- Citélia, dit Lucas qui avait jusque là écouté en se retenant de parler à la place de Léonard, signifie Cité de l’honneur et du combat !

- Oh, sensationnel ! s’écria Victor. L’honneur et le combat !

Mais Emma les interrompit :

« - Nous allons faire une pause ici ! Un pique-nique du matin au bord du lac ! Qu’en pensez-vous ? »

Ils regardèrent par la fenêtre : un paysage époustouflant s’offrait à eux ! Un lac circulaire et immense s’étendait sous leur yeux, entouré de roseaux de glace et d’un chemin qui en été devait être fleuri. Une grande table en pin avec deux longs bancs trônait à quelques mètres de l’eau gelée, comme invitant les passagers à venir s’y installer. Mais surtout, on avait l’impression de pénétrer ici dans les montagnes les plus hautes du monde : on voyait au loin des sommets blancs traversant les nuages, les monts immenses semblant les entourer. Leur plus haut sommet était comme une pointe de lumière encadrée de deux autres pics moins hauts mais plus pointus. Victor le reconnut : « - Le Mont Espoir ! » Diane et lui ne pouvaient pas le quitter des yeux. Comme ils se sentaient petits, soudain ! Mais heureux de l’être, appréciant l’immense beauté de la nature dominant ici.

« - Venez ici ! » s’exclama Emma en posant un panier sur la table gelée. Léonard et Paul étendaient déjà des couvertures sur les bancs. Et tandis que le cocher s’en retournait en souriant, comme savourant d’avance la réaction que les enfants auraient encore, Lucas et Adam tirèrent leurs cousine et cousin par la manche pour les attirer vers les victuailles que déballait déjà leur tante. Diane et Victor s’assirent puis levèrent les yeux vers le lac… Les montagnes le surplombant… Et…. « Oh !!! C’est incroyable !!! » Tout le monde eut le regard rivé sur la vue offerte en cet endroit précis.

 

Deux tours. Blanches, lumineuses, dressées sur les hauteurs telles deux sentinelles infatigables, elles encadraient des portiques et des grilles que l’on devinait grâce aux éclats que renvoyaient leurs décorations d’or. En arrière, d’autres tours s’élevaient : on ne pouvait en voir que le haut. Les dernières fenêtres étaient décorées de statues. Leurs toitures gris-bleu étaient très pointues en haut et leur pente semblait se freiner pour former une courbe concave s’achevant sur une gouttière de pierre claire dont les formes laissaient supposer qu’elle était entièrement sculptée. La pierre de ces tours lointaines était aussi blanche que celle des premières. Victor devina de quoi il s’agissait et murmura, admiratif :

«  - Le Château…

- Oui, répéta Diane. C’est le Château…

- Et il est magnifique. Ajouta Adam. »

Emma commenta : « - Nous sommes au meilleur endroit pour l’apercevoir. Il n’est visible de nulle part ailleurs.

- Visible ? C’est beaucoup dire ! Corrigea Victor

- Il est trop haut et trop reculé sur le plateau dominant Citélia pour que l’on puisse le voir davantage ! » expliqua sa mère.


 

Cependant Léonard s’était éloigné, appelé par des signes de Paul. Ils échangeaient avec animation à la lisière des bois. Emma leur lança un regard interrogateur.

« - Nous devons voir quelque chose ! Lui cria Léonard en s’éloignant dans l’obscurité de la forêt. 

- Les enfants, dit Emma, restez à cette table. Ne bougez pas d’ici, je reviens vite. »

Les enfants se demandèrent ce qui se passait. Mais d’un geste, Emma leur intima l’ordre de l’attendre à leur place. Elle rejoignit Paul et Léonard qui l’avaient vue s’approcher. Paul lui expliqua : « - J’ai vu des traces, à quelques pas d’ici. Des traces de bottes, pas d’animal. »

Emma se retourna pour vérifier que les enfants ne bougeaient pas : ils déballaient le précieux panier de pique-nique. Elle pouvait donc s’éloigner quelques secondes…


 

« - Que font-ils à votre avis ? Demanda Adam tout en découvrant dans un torchon un pain aux lardons et au fromage encore tiède.

- Ils complotent ? Questionna Victor en se servant une tasse de jus de pomme chaud à la cannelle et au citron.

- Peut-être que des monstres sont passés par ici… imagina Lucas en ouvrant un bocal de rillettes. »

Diane ne les écoutait pas et observait le lac… Qu’il était tentant de s’en approcher, d’y glisser...

«  - Et si on allait un peu marcher sur la glace au-dessus du lac ? Demanda-t-elle. Juste un peu… C’est si beau ! » Les garçons suivirent son regard… En effet, c’était bien tentant !

Ils jetèrent un œil vers les bois : personne en vue.

« - Pas vus, pas pris ! s’exclama Adam.

- Oui, allons-y, ajouta Victor. »

Lucas grogna mais les suivit. Leurs semelles semblaient ne pas trop glisser sur la fine pellicule de neige recouvrant le lac.

« - Hé, Victor, s’écria Adam, ce serait drôle que là, tu nous fasses encore ton : « Qu’est-ce que c’est, là ? Sous l’eau ! Les monstres !! » , hein ?

- Oui, mais ce n’est pas drôle ! Répondit Victor. Et… Oh !

- Quoi ? Demanda Diane qui s’avançait rapidement vers le centre du lac…

- Heu… Je veux dire… Diane, tu ne devrais pas aller aussi loin…

- Mais ce n’est pas loin ! Et puis, c’est tellement agréable de marcher sur …

- Non, non, crois-moi, on doit retourner à table !

- Mais enfin…

- J’ai vu des ombres passer…

- Ah, ah, ah, Tu es trop fort !! s’amusa Adam qui n’en croyait pas un mot.

- Ben, si… Oh ! Là ! » Victor se jeta sur la glace, dont il balayait la neige par de larges mouvements des bras. Lucas et Adam en restèrent cois, immobiles et l’observant guetter anxieusement d’hypothétiques mouvements à travers la couche gelée. Diane se tourna vers lui :

« - Victor ? Mais... »

Son frère lui criait de revenir. Il se relevait, avançait de façon incompréhensible, comme s’il suivait une piste imaginaire le dirigeant vers Diane. Lucas s’inquiéta :

« - Diane ! Cria-t-il. Reviens et retournons sur la rive ! Nous retournerons sur le lac plus tard ! Emma aimerait sans doute veni... »

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase.

La surface du lac se souleva derrière Diane qui ne voyait rien, tournée vers son frère.

« - DIAAANE !! » Victor s’élança vers elle en hurlant, ses cousins sur ses talons. Soudain inquiète, elle se retourna et eut à peine le temps de voir une gueule énorme se jeter vers elle.

Dans un cri de terreur, elle se jeta au sol et vit des dents immenses et acérées claquer au-dessus de sa tête. Elle entendit à peine la voix de Victor et de ses cousins hurlant de peur : tout trembla sous ses pieds qui s’enfoncèrent brutalement dans l’eau. Dans sa chute, sa tête heurta des blocs de glace et elle eut la sensation de sombrer dans un tourbillon anesthésiant empli de verre pilé : le froid semblait la traverser de toutes parts, à moins que ce ne soient les étoiles qu’elle voyait tourner devant elle.

Un bruit sourd et assommant aggravait la douleur qui enflait sous son front. Mais elle n’entendait pas les cris des garçons qui venaient de la voir sombrer tête la première, suivie par un immense monstre ailé et doté d’une longue crête d’ailerons alignés sur toute la longueur de son dos. Le saut du mastodonte sembla durer une éternité tant il était long.

Pour Victor, l’impossible venait de se dérouler sous ses yeux et il ne parvenait pas à croire à une telle catastrophe : cela ne pouvait pas être vrai !


 

Diane tendit le bras vers la surface ou du moins ce qui semblait l’être puisque l’eau s’y trouvait plus claire. Mais elle sentait en elle comme une lourdeur qui l’entraînait vers le fond. Elle ne pouvait pas bouger librement les jambes. Elle se courba pour vérifier que ses pieds n’étaient pas coincés dans des algues mais s’aperçut qu’une bête sombre les tenaient dans sa gueule. Non, elle tenait ses mollets… Non… ses genoux… Avec horreur, Diane comprit qu’elle était en train de se faire dévorer… Elle se débattit mais sa tête la faisait souffrir et elle se sentait suffoquer. Sa vue se brouillait. Autour d’elle, des tourbillons, encore et encore : des formes noires rôdaient, la cernaient. Certaines s’approchaient et elle peinait à les éviter par ses contorsions : elle sentit plusieurs fois des peaux lisses glisser contre elle, arrachant au passage une partie de son col ou de ses manches à défaut de sa tête ou de ses bras, qu’elle remuait en tous sens pour éviter les coups. À contre-jour, venant probablement de la surface, d’autres silhouettes se mouvaient : elles semblaient humaines. Mais si lointaines… Tellement lointaines… Victor… Que deviendrait Victor sans elle ? Et ses parents ? Parviendraient-ils, tous les trois, à retrouver une vie heureuse si elle mourait dévorée et noyée maintenant ? Elle s’étonna de ne pas ressentir plus de douleur… Grâce au froid, probablement. Elle faisait des efforts pour garder les yeux ouverts. Elle plongea son regard vers les abysses qui la dévoraient. Peut-être se trompait-elle : s’agissait-il de la surface ? Elle perdait sans doute le sens de l’orientation… Mais une blancheur, comme la lumière du soleil traversant les eaux agitées, montait vers elle. Non, elle perdait forcément l’esprit, ou bien hallucinait… Ce n’était pas possible. La lumière ne monte pas… Et ce n’était pas une lumière. Quoi que… Elle n’était peut-être plus en état de comprendre ce qui se passait. Elle se débattait inutilement et se demandait si ses gestes étaient réels ou imaginés. Peut-être était elle en train de mourir sans le savoir ! Pourtant, il lui semblait bien voir une silhouette de femme s’approcher d’elle : une femme jeune et portée par des rayons de lumière, ou des ailes, une femme qui ressemblait… Elle n’aurait pas pu dire à qui… Elle lui sembla familière et Diane eut l’impression qu’elle combattait le monstre géant qui la tirait vers les profondeurs obscures du lac. Elle semblait combattre tous les monstres à la fois, d’ailleurs : les formes sombres tournaient de moins en moins autour d’elle ; elles s’éloignaient. Diane sentait de mieux en mieux ses jambes et comprit qu’elle les avait encore toutes les deux. Elle avait deux jambes ! Quelle joie ! Elle les remua de son mieux pour remonter vers la surface. Vite, vite ! Elle étouffait… Une main, ou une force, un courant peut-être, la poussait vers le haut. Des silhouettes descendaient vers elle. Trois. On lui attrapa les bras, on la tenait par la taille. Elle eut alors la sensation de se réchauffer, dans cet enfer glacé et menaçant. Elle aurait voulu se retourner, regarder derrière elle, persuadée que quelqu’un ou quelque chose s’était interposé entre les monstres et elle… Mais de l’air ! Il lui fallait de l’air ! De l’air !


 

« - Ahhhh ! »

Projetée sur la glace, elle heurta le sol fendu et dur. On la retourna brusquement face contre la neige et elle cracha de l’eau, toussa, cracha encore… Tout en pleurant toutes les larmes de son corps. Elle mit une main à son cou, blessé par une dent mais peu douloureux, chercha tout en toussant son collier de cuir blanc et pleura de plus belle en gémissant : « Mon collier ! Le collier de Maman ! Mon collier ! » Elle se souvenait, comme si cela venait d’arriver, de l’émotion ressentie au moment où sa mère lui avait offert ce cadeau préparé durant des mois et avec amour. Ce n’était pas un cadeau ordinaire. Elle venait de le perdre, ou plutôt on venait de le lui voler. Tout en essayant de la noyer, de la déchiqueter, de la dévorer… Trop de violence, d’injustice, de brutalité tenaient dans les quelques minutes qu’elle venait de vivre et la perte de son collier symbolisait tout cela. Diane s’effondra, en larmes, criant après son collier… Après la vie qu’elle avait, un bref instant, presque perdue…


 

« - Diane ! Diane ! Ça ira, viens ! scandait Lucas. Il toussait, lui aussi, et la soutint sous les bras pour la relever.

- Vite ! » Criait Victor qui tenait sa sœur par la taille pour la faire avancer. Adam faisait de même de l’autre côté. Tel une chimère à huit pattes, ils couraient, se précipitaient vers le rivage aussi vite qu’ils le pouvaient. Diane ne pesait pas lourd et ils l’entraînaient rapidement. Ils glissèrent.

« - Les enfants !! »

Emma courait vers eux : sur le lac, elle semblait voler, glisser vers les enfants et elle les rejoignit à la vitesse de l’éclair. Les attrapant, elle les poussa, les jeta presque sur le rivage en criant à Paul de sortir les couvertures. Elle serra Diane contre elle tout en frottant énergiquement, d’une main, les garçons qui grelottaient. Paul et Léonard jetèrent des couvertures sur eux et tandis que Paul les frictionnait à travers elles, Léonard se plaça tel un garde face au lac, attendant qu’un éventuel ennemi en surgisse.

Diane pleurait, Adam répétait que les monstres vivaient dans le lac, Lucas obéissait aux conseils de Paul de se déshabiller pour se sécher dans les couvertures tout en intimant aux autres de l’imiter, Victor réclamait des nouvelles rassurantes à sa sœur qui était incapable de l’écouter.

Il respirait rapidement et insistait :

« - Diane ! Qu’est-ce qui s’est passé là-dessous ? On ne te trouvait pas ! J’ai cru que tu avais coulé ! 

- Victor ! Tonna Emma. Et vous deux ! Qu’est-ce qui vous a pris !! Il fallait appeler, pas plonger ! Vous avez été stupides, trois vaillants chevaliers fous, complètement inconscients !! Vous avez failli vous tuer tous les quatre ! »


 

En effet, les garçons se dirent que le terme de « chevaliers fous » leur correspondait plutôt bien.

Ils n’avaient pas réfléchi… La peur de perdre Diane s’était emparé de leur esprit lorsqu’elle fut précipitée dans l’eau et puisqu’ils savaient bien nager, puisqu’ils avaient tous un couteau dans une poche et puisqu’ils regrettaient d’avoir désobéi, l’adrénaline favorisant la prise de décision rapide, ils avaient foncé comme un seul corps, mais un corps perdant la tête !

Les garçons se réchauffaient, se frictionnant les uns les autres selon les consignes de Paul, et revoyaient les remous terrifiants dont ils venaient de sortir.


 

Quelle folie… La queue du monstre s’était enfoncée devant eux : s’enfuyait-il ou suivait-il Diane dans sa chute ? Les eaux étaient agitées et des ombres s’approchaient : d’autres monstres ? Ils n’avaient jamais vu de graouillis et on leur avait dit qu’ils étaient pacifiques, bien différents de leur ancêtre géant qui avait terrifié la région. Pourtant, ces animaux-là semblaient bien agités et agressifs ! Victor avait sorti son couteau et écarté les bras pour se maintenir comme debout sous l’eau. Ils avaient cru être cernés avant de comprendre que les monstres descendaient à leur tour dans les profondeurs : une viande plus facile à attraper les attirait plus loin. Cette seconde sembla durer des heures : retenant leur respiration et gardant les yeux ouverts, ils fixaient l’obscurité où tournoyaient maintenant les monstres. Soudain les bêtes se dispersèrent. Des filets foncés remontaient vers la surface : du sang ! Victor descendit : il ne les laisserait pas dévorer sa sœur ! Lucas et Adam restaient à ses côtés. Ils avaient pris conscience de leur inconscience mais il était trop tard pour faire marche arrière… Les garçons ne comprirent pas tout de suite ce qu’ils voyaient : des graoullis s’éloignaient en nageant de façon désordonnée, parfois en zigzaguant… Et, toujours, ces filets sombres qui semblaient emplir le lac… L’un d’eux se retourna, monta vers eux comme une menace de mort douloureuse, puis changea subitement de direction pour disparaître dans la noirceur de l’eau remuée et rougie… Victor commençait à manquer cruellement d’air et se demanda s’il ne devrait pas reprendre son souffle avant de retourner chercher sa sœur… Mais il lui sembla l’apercevoir… Elle remontait… Était-ce son manteau, qui s’étalait autour d’elle ? Non… Derrière Diane… Quelqu’un ! Soudain il sentit une immense joie l’emplir et il pensa spontanément « - Maman ! ». Mais il n’eut pas le temps de la regarder. Il se concentra sur le visage de sa sœur et sentit qu’elle perdait conscience.

Lucas aperçut Diane et il se précipita vers elle en même temps que Victor et Adam. Diane tentait de nager : quel soulagement, elle était vivante ! Elle n’avait pas été dévorée ! Sa cousine était soutenue et remontée vers la surface par quelqu’un… Une cape, une lumière, d’immenses nageoires ou des ailes ? La lueur d’une épée ? Il finit par distinguer une femme : d’où pouvait-elle bien sortir ? Elle semblait vêtue d’une robe blanche et il avait l’impression qu’elle volait… « - Une sirène ? Une sorcière ? » Des questions traversèrent rapidement son esprit qui se reconcentra cependant vite sur Diane. Il l’attrapa : la mystérieuse créature qui remontait sa cousine semblait nager avec tant de force qu’il se sentit propulsé vers le haut.

Adam battait des jambes pour fuir cet endroit en serrant Diane par un poignet. Il aurait voulu se retourner : il avait bien aperçu quelqu’un qui avait ramené vers eux sa cousine. Elle lui rappelait… Une femme jeune, aux longs cheveux, vêtue de clair… Mais il n’avait pas eu le temps de distinguer sa face. Un visage rieur lui revint en mémoire… Tine ? Comment cela serait-il possible ? Il n’avait le temps ni de se retourner, ni de se questionner davantage. Lucas, Victor, Diane et lui remontaient rapidement et il se sentit comme projeté sur la glace.

Un cri. Les enfants avaient entendu sa voix comme si elle leur était parvenue d’une autre dimension tant leurs esprits étaient encore accaparés par les émotions de leur plongée. Ils s’étaient ensuite sentis happés par le mouvement d’Emma qui les avait bousculés pour les redresser en leur ordonnant de courir. Ce n’était donc pas fini… Le danger n’était pas passé ! Adam et Diane sentaient le corps et les bras d’Emma dans leur dos, qui les poussaient vers l’avant. La robe claire semblait voler derrière leur jambes qu’elle semblait emporter tant Emma courait vite. Lucas et Victor, saisis par les poignets, couraient, glissaient… Ils ne le savaient pas bien mais Victor se dit que sa mère avait tout à coup beaucoup de force ! Ils avaient été relâchés une fois sur la neige, devant la table qui semblait les avoir attendu sagement. Puis les frictions, les couvertures jetées sur eux, l’agitation qu’ils sentaient autour d’eux.


 

« - Nous avons cru mourir... » lâcha Adam en toussant. Emma ne répondit rien. Diane la regarda : la mâchoire serrée de sa mère trahissait son émotion et mieux valait sans doute pour eux qu’elle ne dise rien ! Elle était mouillée : avoir pris les enfants dans ses bras l’avait rendue presque aussi trempée qu’eux ! Elle crut entendre des sons de cors, au loin. Mais plus rien n’avait d’importance.


 

Les enfants se réchauffaient désormais, vigoureusement séchés. Diane peinait à calmer ses sanglots. Emma avait étalé des baumes et parfois des pansements sur diverses blessures dont aucune, par bonheur, n’était grave, puis décida qu’ils pouvaient marcher jusqu’au carrosse resté à la lisière de la forêt.

« - Les gardes arrivent ! » annonça Léonard, qui ne quittait pas son poste, entre les enfants et le lac. Emma lui répondit : « - Il faut sécuriser le lac… Retrouver les graoullis... »

Un Capitaine, suivi d’une longue escorte, apparut bruyamment aux abords du lac et le longea au galop : il criait ses ordres et sa patrouille se divisait en deux pour contourner de part et d’autre l’étendue d’eau devenue dangereuse.

« - Suivez Léonard jusqu’au carrosse. Dépêchez-vous ! » ordonna Emma sans plus d’explication. Léonard porta Diane sur un bras et de l’autre fit signe aux garçons de le suivre. Paul ouvrait déjà la portière.

Victor se retourna pour voir le Capitaine mettre pied à terre devant Emma qui lui parla avec animation. « - Oh, oh, murmura-t-il. Est-ce qu’elle le gronde ?!

- Je ne le pense pas, répondit une voix familière.

- Amélie ! s’écria Victor. Que fais-tu là ?

- J’étais dans le coin, et j’ai entendu les cors des gardes… J’ai bien fait de venir voir ce qui se passait... »

Victor trouva étrange qu’elle monte un cheval aux armes du Roi mais n’en dit rien : après tout, un garde le lui avait peut-être prêté ? Il venait de vivre des événements bien plus étonnants !

Lorsqu’ils furent dans le carrosse, Léonard sauta près d’eux et claque la portière. Aussitôt leur véhicule se mit en branle, s’éloignant rapidement du lac.

« - Hé ! s’écria Diane. Mais pourquoi on part !? Et Maman ?

- Ne t’inquiète pas, cria Amélie qui galopait à leurs côtés. Elle nous rejoindra mais le plus urgent est de vous mettre en lieu sûr et au chaud ! »

Victor observa Léonard qui approuvait d’un regard grave et personne ne trouva rien à y redire. Il était évident qu’ils avaient besoin de soins.


 


 


 

« - Oh, les pauvres petits ! »

Une femme d’au moins une soixante d’années ouvrit la portière. Elle portait un charmant bonnet de laine rose, une robe épaisse recouverte d’un long gilet de laine, le tout caché par un immense tablier en toile épaisse. Les enfants se trouvaient dans la cour d’une ferme. Une très jolie ferme ! Les murs étaient blanchis, les toits rouges légèrement recouverts de neige, la cour gelée était en terre mais sans véhicule, outil ni tas de fumier visible. D’innombrables portes dans les ailes d’un large bâtiment cachaient visiblement des granges, garages, poulaillers et étables tandis qu’on pouvait deviner une seconde cour derrière un grand porche placé dans un angle. L’endroit était ordonné et accueillant. La fermière aussi.

« - Les enfants, commença Léonard, je vous présente Cathy…

- Je suis une amie de Léonard. Oh mon Dieu ! Vous êtes des enfants de Pierre et ceux d’Emma ! Si vous saviez ! J’ai connu vos parents, enfin… Pierre et Emma, pas Claire et François… Je les ai connus lorsqu’ils étaient petits ! Mais vous grelottez, mes pauvres chéris ! Venez vite à l’intérieur, la cheminée est allumée bien sûr, avec ce froid… »

Les quatre enfants ne se firent pas prier pour se mettre au chaud. Ils ne virent pas Amélie repartir au grand galop. Cathy leur servit des chocolats chauds et monta à l’étage. On entendit plusieurs bruits de portes, puis elle redescendit en clamant fièrement :

« - J’ai retrouvé des vêtements à votre taille ! Deux chambres sont prêtes pour vous changer ! » Ils ne se firent pas prier ! Bien réchauffés, ils coururent en soulevant leurs couvertures comme des robes sur lesquelles il ne fallait pas trébucher.

Ils se changèrent à toute vitesse : les habits préparés par Cathy étaient simples et en bon état, sentant encore bon la lavande. Diane vint rapidement frapper à la porte des garçons.

« - Vous êtes habillés, c’est bon ? Demanda-t-elle sans attendre leur accord pour entrer. Il faut qu’on retrouve le monstre qui a volé mon collier ! Je le déteste ! On le tue et on lui ouvre le ventre ! »

Ils regardèrent la fillette en hésitant… Que dire… Que bien sûr, ils allaient partir chasser le graoulli ?

« - Avant tout, répondit Lucas, nous devrions analyser la situation…

- Tout à fait ! s’exclama Victor. Tout d’abord, que savons-nous des graoullis...

- Qu’il s’agit de monstres sanguinaires énormes, coupa Diane, qui savent nager et marcher, qui ont des dents acérées, de nombreuses nageoires et des ailes…

- … Et qui sont de nature pacifique ! Intervint Adam. Alors, que s’est-il passé ?

- Je pense, répondit Lucas, que des mécanismes comme ceux que nous avons trouvé se trouvent dans d’autres endroits et sont responsables des perturbations qui ont changé le comportement des graoullis. C’est bien pour ça que ta mère a parlé d’ultra-sons, non ? demanda-t-il en s’adressant à Diane.

- Oui, sans doute, répondit-elle. Mais maintenant, ils sont… Dangereux.

- En effet. Approuva Victor. Il faut avouer que sans cette sirène, ou … je veux dire sans l’aide que nous avons reçue… Mais c’était qui, ou quoi, d’ailleurs ?

- Oui ! Moi aussi je l’ai vue ! s’exclama Lucas. C’était une femme, non ? »

Victor se rappela que son premier réflexe avait été de croire voir venir sa mère. Quelle drôle d’idée… Diane quant à elle revoyait la scène : ce moment de soulagement intense, de joie, lorsqu’elle s’était sentie libérée par cette créature magique !

- Mais, s’écria-t-elle soudain, elle n’est pas sortie de l’eau avec nous ! Elle nous a poussé à l’air libre, mais elle n’est pas ressortie ! » Elle venait de prendre conscience non seulement de la force de cette femme, mais aussi de… son sacrifice. Son visage blêmit lorsqu’elle reprit :

« - Elle est restée avec les graoullis… C’est pour ça qu’ils ne se sont pas lancés à notre poursuite… Ils la poursuivaient peut-être, elle…

- Ou bien, dit Victor, elle les a chassés. Elle était sous l’eau, sous la glace, avant qu’on ne vienne. Elle a combattu tous les monstres qui nous attaquaient. Elle ne s’est pas sauvée avec nous. Voyons, nous pouvons en déduire qu’elle n’est pas humaine, non ?

- J’avoue, dit Adam. Et surtout… Diane, elle ne te rappelle personne ?

- Je ne l’ai pas bien vue.

- Je crois qu’il s’agissait de Tine.

- Quoi ? s’étonna Victor. La femme que vous avez vue avec Diana ?

- Oui. Je sais, ajouta Adam, c’est étrange. Mais elle lui ressemblait et pourquoi pas ? Elle veille sur Diana et la fait rire, elle veille peut-être aussi sur nous et nous sauve la vie…

- On devrait en parler à Maman, marmonna Victor.

- Pourquoi ? Demanda Diane. Tu crois qu’elle la connais ?

- Je ne sais pas… Une intuition. Maman semblait connaître le Capitaine, non ? En tout cas lui, il l’écoutait sérieusement.

- Il faisait son travail, c’est tout, dit Lucas. Nos parents ont déjà été au Château alors peut-être qu’ils se sont croisés là-bas.

- D’ailleurs, ces gardes, ils sont arrivés vite… se souvint Diane.

- Oui, grâce aux appels du cor, expliqua Lucas.

- Mais qui les a appelés ? »

Ils se regardèrent, interdits.

« - Oh, reprit Lucas. Des patrouilles sont partout en ce moment : l’une d’elle a sans doute entendu les cris d’Emma ! Ou vu la scène de l’autre côté du lac !

- Et appelé Amélie ? Questionna Victor. Et on lui a prêté un cheval pour qu’elle accompagne les soldats ? Et tout ça pendant qu’on se noyait ? Dis donc, ils sont super efficaces, les soldats royaux !

- Ouais, ils sont super efficaces, lâcha Adam en guise de conclusion.

- Nous avons de la chance, en tout cas. Ajouta Diane en souriant enfin. Maintenant que j’y pense, nous avons eu vraiment beaucoup de chance... »

Les enfants se turent un instant, songeant que quelles que soient les explications à tous ces mystères, ils l’avaient réellement échappé belle. Quelle chance, aussi, qu’il y ait toujours quelqu’un avec eux face au danger !

« - Nous ne devrions pas abuser de notre chance. Affirma Adam.

- Ou bien le contraire, proposa Victor. Nous devons nous en servir pour protéger ce Royaume ! »

Lucas éclata de rire. Puis se reprit : « - Je suis d’accord avec toi, cousin ! Incroyable, j’ai cru entendre mon père, là !

- Bon sang ne saurait mentir ! C’est du Martin tout craché, ça ! Quelle famille ! » Se moqua Adam.

Diane riait, son frère s’imaginait combattre des dragons, Adam et Lucas s’encourageaient à suivre leur cousin dans sa quête. La fillette se souvint des reproches de sa mère et s’exclama :

« - Allons, les Chevaliers fous ! Nous allons rejoindre les forces de Citélia pour défendre la Cité ! »

Elle ouvrit la porte et s’aperçut que Cathy discutait avec Amélie. Cette dernière repartit rapidement, laissant la fermière avec un parchemin. Leur hôtesse appela Léonard qui répondit « - Une minute, Cathy ! » Mais elle ne lui laissa pas une minute et le rejoignit rapidement : il bricolait sur la table de la cuisine, ainsi transformée en atelier de métallerie, un poêle servant de four au Professeur de Diane et Victor !

« - Une amie d’Emma est passée. Elle m’a transmis un message pour toi et remis ce plan, dit-elle en tendant le parchemin. Léonard leva les yeux.

- Bien. Voyons ça alors.

- Elle m’a dit que les graoullis qui avaient fui se rassemblent tous dans le lac. Celui où les enfants les ont découverts. On a aussi repéré tout un réseau sous-marin qui relie des puits au lac et aux rivières : on a arrêté un groupe qui installait encore de nouveaux dispositifs dans un vieux puits de Citélia déjà connecté à la nappe phréatique reliée au lac. Il paraît que Citélia est visée : tout ceci vise sa destruction. Il s’agissait de rendre les graoullis fous pour qu’ils se retournent contre leurs maîtres, mettent à mort les habitants de Citélia et du Château et détruisent la Cité… Léo… C’est tout de même incroyable…

- Les graoullis ne peuvent pas grimper ni voler jusqu’au Château. Mais oui, Citélia est à leur portée. Et ce papier ? Demanda-t-il en dépliant le parchemin. Oh, un plan. Emma l’a tracé à la hâte pour représenter les réseaux sous-marins utilisés par les graoullis. Bien sûr. J’ai vu les mécanismes cachés dans les puits : ils envoient des ondes puissantes que l’eau transmet sur des dizaines de kilomètres. Aucun être vivant sous-marin ne peut les ignorer. Il faut barricader la ferme : mets tes ouvriers au travail tout de suite. Il faut aussi enfermer les bêtes. »

Cathy sortit immédiatement.


 

Les enfants descendirent rejoindre Léonard : il avait élaboré une multitude d’objets complexes, comme des sifflets faits de plusieurs cavités aux courbes étranges.

« - Léonard, demanda Diane. Peut-on t’aider ? Nous allons bien maintenant et nous venons avec toi pour protéger Citélia ! » L’homme leva les yeux vers la fillette.

« - Comme tu y vas, Diane la guerrière ! Je dois finir ces souffleurs d’appels pour graoullis avant toute chose ! Voyez-vous, les jeunes, l’air que nous envoyons dans cet orifice se transforme en étant coupé ici, amplifié là, modifié par cette cavité grâce à ces circonvolutions… Sous l’eau l’air ainsi formé heurte l’eau pour propager des ondes très longues que nous ne pouvons pas entendre mais que les graoullis perçoivent parfaitement ! Ainsi il sera plus facile d’en reprendre le contrôle pendant que les soldats détruisent ces mécanismes infernaux qui ont totalement déréglé leurs perceptions et créé de telles tensions en eux qu’ils en sont devenus violents et incontrôlables ! Il existe déjà des souffleurs mais ceux-ci sont plus puissants… Ils les calmeront et les attireront. Je dois encore en fabriquer un certain nombre : vous pouvez m’aider. Ensuite, aidez Cathy à barricader sa ferme ; ce sera long mais pas très difficile : les fenêtres sont étroites. Vous devrez rester enfermés ici, à l’étage. Ne vous inquiétez pas, dehors on s’occupera des problèmes et Cathy a beaucoup de réserves ainsi qu’un assez bon confort : vous ne manquerez de rien ! Alors, toi, Lucas, prend ces planches de fer et coupe-les selon le patron que j’ai tracé ici. Toi, Victor, tu plieras avec cet outil selon ces plans, toi…

- Mais non ! Coupa Victor. Nous ne voulons pas rester ici !

- Commencez déjà par préparer nos armes ! » répondit Léonard.

Les enfants obtempérèrent, cisaillant, pliant, collant, jusqu’à ce que le Professeur ait soudé toutes les pièces et obtenu des dizaines de souffleurs d’appels.

Satisfaits, les quatre enfants attendaient de nouveaux ordres de Léonard. Quelle déception cependant, lorsqu’il leur demanda de balayer, ranger tout ce désordre puis aider Cathy !

« - Mais… Commença Adam.

- Pensez-vous vraiment n’avoir pas encore pris assez de risques ?

- Mais…

- Vous restez là !

- Si nous n’avions pas été sur le lac, hé bien… commença Diane.

- Hé bien ? Demanda Léonard, curieux de savoir quelle mauvaise excuse elle avait inventé.

- Hé bien… On ne saurait pas qu’il existe des sirènes !

- Pardon ? » L’homme s’assit de surprise.

« - Mais oui, il y a dans le lac quelqu’un qui sait combattre les graoullis ! »

Diane était très fière de son annonce. Ah, personne n’aurait pu deviner ça ! Elle ne vit pas, derrière elle, Lucas qui balançait piteusement la tête.

Léonard sembla se pincer le haut du nez, entre les yeux. Diane se dit qu’elle venait de le plonger en pleine réflexion. Lucas pensa qu’il se retenait de rire et cherchait une réponse aimable.

« - Hé bien… répondit Léonard. S’il y a des sirènes alors oui, j’aimerais le savoir…

- Il y en a une en tout cas !

- Et à quoi ressemble-t-elle ?

- Oh, elle est très belle, avec de longs cheveux et de grands yeux magnifiques ! » Diane n’avait rien vu de tout ça sous la glace mais décrivait Tine, puisque son cousin croyait qu’il s’agissait d’elle. « Elle est habillée de blanc, a quelque chose derrière elle qui est grand et blanc aussi, peut-être des nageoires, ou des ailes, ou… nous ne savons pas trop. Elle a une épée... Je crois bien que j’en ai vu une, et puis elle est très forte, et elle veille sur Diana… Pardon, je veux dire qu’elle a veillé sur nous ! »

Léonard la fixait maintenant d’un air sidéré. Il hésita un instant puis répondit :

« - Les enfants. Mes chers enfants. J’ai beaucoup de respect pour vous : j’espère que vous le savez. »

Tous approuvèrent. Léonard poursuivit :

« - Mais, un jour, Diane, Victor, je vous expliquerai ça plus longuement… Le cerveau crée parfois sa propre vérité, il comble l’invisible par des interprétations, les plus logiques possibles, mais parfois surprenantes, et nous sommes persuadés d’avoir vu un objet qui n’a en réalité jamais été là… D’autant plus que dans votre situation, en train de suffoquer, dans le froid… Vous manquiez d’oxygène et d’énergie…

- Mais elle nous a sortis de l’eau !

- Vous avez réussi à sortir de l’eau, les enfants… Pour l’instant, je propose que l’on s’en tienne à cette hypothèse.

- Mais... 

- Cela suffit. Je dois partir et vous devez protéger cette maison ! »

Cathy entra, les bras chargés de carquois emplis de flèches et des arcs plein ses épaules. Léonard la salua d’un signe de tête, qu’elle lui rendit. Il sortit.

Diane tapa du pied :

« - Mais c’est pas juste ! Tout ça est injuste ! C’est pas juste et je veux aller tuer ce graoulli qui... » Cathy laissa choir sur le sol toutes ses armes et s’accroupit devant Diane :

« - Ma chérie, dit-elle de la voix la plus apaisante possible. Non, rien de tout cela n’est juste. Mais Léonard te dirait de ne pas laisser la colère te diriger. C’est la pire conseillère que tu puisses choisir ! Parfois elle peut être une arme, mais ne l’écoute jamais !

- Il ne comprend rien ! Il ne nous croit pas !

- Oh, ma pauvre petite… Si seulement tu savais…

- Savoir quoi ? Que parce qu’il est Professeur il croit tout savoir, il croit avoir toujours raison et on ne doit pas le contredire ?

- Hé, t’es sérieuse, là ? Intervint Victor. Il est vraiment gentil, et tu es trop fâchée !

- Il sait ce qu’il fait, dit Cathy. Et peut-être qu’il ne veut pas vous laisser penser à certaines choses qui ne seraient pas bonnes, ou pas encore bonnes pour vous. Grandissez tranquillement et laissez les adultes vous protéger, d’accord ? »

Mais Diane boudait. Cathy poursuivit :

« - Les enfants… Vous ne le savez pas, mais Léonard a dirigé des armées, autrefois. »

Diane , Adam, Lucas et Victor ouvrirent grands leurs yeux.

« - Alors, faites-lui confiance. S’il-vous-plaît. »


 


 


 

Adam peinait à suivre le pas de Diane, qui fonçait vers la cour arrière pour y retrouver deux ouvriers agricoles en train de rentrer les oies et les chèvres à l’abri.

« - Hé ! Attends-nous ! » Victor et Lucas la rattrapaient. Un garçon probablement de l’âge de Lucas leur fit signe de se diriger vers les chèvres.

« - C’tes oies sont trop mauvaises ! Cria-t-il. Allez-y plutôt vers les chèvres ! Sont pas facile non plus mais elles sont moins pires ! » Un jard vint lui pincer les fesses et le garçon sursauta. Diane leva les yeux au ciel. Elle fonça droit vers le garçon de ferme, lui arracha le bâton des mains et se chargea de faire avancer les oies vers leur abri. Le garçon sembla quelque peu désemparé et craintif, sans son bâton, aussi suivit-il Diane de près car elle avait été si efficace qu’en quelques cris et gestes elle avait obligé la volaille à se rassembler pour se diriger vers la porte prévue et aucune ne restait derrière elle.

« - Nous avons quelques oies, à la maison ! » lui cria-t-elle en guise d’explication.

Les garçons la laissèrent gérer les monstres à plumes et rejoignirent le berger de chèvres.

« - Vous avez là un sacré Professeur ! Lança Lucas à Victor.

- Oui, et j’ai hâte d’avoir mon prochain cours d’histoire, pour savoir quand il a dirigé des armées !

- Il t’enseigne l’histoire ? Demanda Lucas.

- Non. D’autres matières. L’histoire, c’est…

- Ah oui, Amélie ! s’exclama Lucas.

- Non, non, Amélie enseigne autre chose…

- Ah ? Et elle habite chez vous ?

- Non… Elle vient juste pour nos cours. Je ne sais pas où elle vit.

- Tu n’as jamais été curieux de le savoir ? Si j’avais une préceptrice comme elle, je lui poserai des questions ! Enfin, je veux dire… Aussi impressionnante, enfin… Sympathique…

- Oui, sans doute… Je n’y ai jamais vraiment fait attention, en fait…

- Oh, Lucas… Tu peux toujours demander à Papa et Maman si tu peux changer d’école ! Se moqua Adam.

- Pff... »

Les chèvres étaient rentrées et les oies aussi : Diane les rejoignait. Un garçon de ferme leur cria qu’ils allaient clouer les fenêtres et se dirigeaient vers ce qui semblait être un atelier.

« - Attendez un peu, lança Lucas. Est-ce qu’on ne serait pas plus utiles ailleurs qu’ici, à clouer des planches aux fenêtres pour nous cacher ensuite ?

- Ah ! s’exclama Diane. Totalement d’accord avec toi ! Je te suis !

- Oui, allons protéger Citélia, ajouta Victor. Là-bas on aura davantage besoin de nous. Cette ferme est sans doute moins en danger que la ville : vous avez entendu ce que Cathy disait à Léonard ?

- Cette histoire de protéger la ferme, c’est sûrement pour nous tenir à l’écart pendant que tout le monde va sauver Citélia ! » Dit Adam.

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